De notre envoyé spécial à Jérusalem
Il était à Jérusalem. Et en France « en même temps ». C’est d’ailleurs là que les choses se sont corsées. Mercredi midi, après avoir rencontré Reuven Rivlin, Benjamin Netanyahou et Benny Gantz à Jérusalem dans la matinée, et avant de rejoindre Mahmoud Abbas à Ramallah en fin de journée, Emmanuel Macron était attendu au domaine national de Sainte-Anne. Cette petite église en pierres proche de la Porte des Lions – possession française depuis l’époque ottomane -, est placée sous l’autorité du consul général. Une fois franchies les épaisses portes en bois qui la délimitent, il s’agit donc d’un territoire qui appartient à Paris. Ce qui implique que la sécurisation des lieux soit confiée aux autorités françaises. Au risque de créer des tensions avec les Israéliens.
Emmanuel Macron l’a découvert à ses dépens. Au terme d’une visite surprise au Saint-Sépulcre, suivie d’une déambulation dans la vieille ville de Jérusalem, le président de la République a fini par rejoindre Sainte-Anne. Avec plusieurs heures de retard. Et fort d’avoir mis la sécurité israélienne sur les dents – les autorités locales n’apprécient guère l’improvisation. A son arrivée, il a immédiatement reconnu avoir « bien évidemment une pensée » pour Jacques Chirac, qui avait emprunté ce même parcours en 1996. « On a tous, en souvenir, des scènes très vivantes de notre imaginaire français. […] Il y avait, aussi, des malentendus qui avaient été liés à cette visite… J’espère qu’ils seront levés. Et que (ma venue) permettra de les dissiper », a-t-il lancé.
L’allusion du chef de l’Etat est claire : il fait référence à l’altercation, restée célèbre, de son défunt prédécesseur avec les autorités israéliennes. « Do you want me to go back to my plane ? », avait-il pesté auprès des forces de sécurité locales, jugées excessivement interventionnistes à son endroit. Comme un clin d’oeil du destin, Emmanuel Macron s’est retrouvé, quelques secondes à peine après son arrivée, dans une situation similaire à celle de Jacques Chirac. Voyant les forces de sécurité israélienne se mettre en position pour sécuriser l’intérieur de la bâtisse, le président a tout de suite prévenu un responsable : « Vous savez bien que ça ne marche pas comme ça, et je le dis avec beaucoup d’amitié pour vous… Parce que je crois que ça a toujours été comme ça ». « Il y a des règles, les amis. On va les respecter […] Il faut que les choses se passent aussi calmement qu’elles se passent depuis ce matin. Je ne suis pas en danger à l’intérieur. Donc ne faites pas de choses qui sont de la provocation », a-t-il martelé.
«Go outside !»
Face à l’insistance de son interlocuteur, il a coupé court : « Je suis président de la République française, c’est moi qui décide ». Puis il a tenté de s’engouffrer dans le domaine de Sainte-Anne. S’en est suivie une très vive altercation entre les services de sécurité Français et Israélien, qui se sont disputé la sécurisation des lieux. « C’est pas une bonne idée. C’est pas une bonne idée… », a-t-il prudemment tenté dans un premier temps. Avant d’élever la voix. « On sort. Allez. Pas ça avec moi. Pas ça avec moi. Tout le monde sort. Tout de suite », a-t-il exigé. « Il y a toutes les télés… », lui a alors glissé le député UDI des Français de l’étranger, Meyer Habib, en l’invitant à calmer le jeu. Mais il était déjà trop tard, pour Emmanuel Macron.
« Cool ! Cool ! […] Everybody knows the rules ! I don’t like what you did in front of me. Go outside! Outside. I’m sorry. We know the rules. Nobody has to provoke nobody. We had a wonderful walk. You did a great job in the city. I do appreciate that. Please, respect the rules as they are for centuries. They will not change with me. I can tell you. Okay ? So everybody respect the rules», a-t-il protesté. («Du calme. Du calme. Tout le monde connaît les règles. Je n’aime pas ce que vous avez fait face à moi. Sortez ! Dehors. Je suis désolé, personne n’a besoin de provoquer quiconque. Nous avons fait une promenade merveilleuse dans la ville. Vous avez fait du bon boulot dans la ville, j’apprécie cela. Maintenant, respectez les règles qui existent depuis des siècles. Elles ne vont pas changer avec moi, je peux vous l’assurer. Ok ? Donc tout le monde respecte les règles»).
« Il n’y a pas de préméditation »
Quelques minutes plus tard, les forces de sécurité israéliennes ont été priées de quitter les lieux, et le président a déjeuné avec la communauté chrétienne. Sans toutefois visiter l’église, comme c’était initialement prévu. Une fois la pression et la tension redescendues, le président de la République a tenu à se rendre sur l’esplanade des Mosquées. Fait inédit : il y a pénétré par une des portes réservées aux musulmans. Il a ensuite regagné le Mur des lamentations, via la longue passerelle en bois qui est devenu le théâtre d’affrontements réguliers entre communautés juive et musulmane. « Je pense qu’il est important de montrer, à une époque où notre monde se déchire, et où le fait religieux déchire souvent, qu’ils sont ici réconciliés. Et qu’ils le sont depuis des siècles », a pourtant déclaré Emmanuel Macron, pour expliquer les raisons qui l’avaient poussé à visiter les trois lieux saints de Jérusalem. Il y est revenu quelques minutes plus tard, estimant que sa démarche relevait du « rôle qu’a la France » et que « reconnaître la part de chaque religion » correspondait à « la juste définition de la laïcité ».
Soucieux de minimiser l’ampleur de la séquence survenue quelques heures plus tôt, Emmanuel Macron a également tenu à en fait l’explication. Soulignant que « notre histoire française » est « un peu particulière », il a rappelé que « Sainte-Anne est un domaine français ». « Il y a eu un jeu qui est assez classique, où il y a eu un moment d’énervement entre les équipes de sécurité… Et il me revenait d’y mettre bon ordre, en réexpliquant quelles sont les règles », a-t-il tranché. Et de résumer : « La sécurité israélienne, qui a fait un travail formidable à mes côtés dans les rues et où tout a été très calme, elle s’arrête aux portes de Sainte-Anne et c’est la sécurité française qui prend le relais ». Quant à sa mise au point, en anglais dans le texte et en français dans l’accent, il a plaidé la spontanéité… Et s’est défendu de toute volonté de se mettre dans les pas de Jacques Chirac. « Il n’y a pas de préméditation, parce que je pensais que ça se passerait bien », a-t-il assuré. « C’est un peu le jeu et la parenthèse a été refermée ».
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