Pourquoi la transformation numérique est elle si délicate à mener ? “Elle fait largement place à l’intuition et la prise de risque” de la part des dirigeants expliquait lundi soir Guillaume Pepy, invité star d’une soirée organisée par le G9+. Une prise de risque face à la poussée de géants technologiques que la SNCF n’avait alors jamais rencontré.
Ainsi, dès les années 2000 avec l’arrivée de Google, la SNCF comprend qu’une partie de son activité va évoluer. “C’est à partir de là que nous avons commencé à réfléchir à la vente de billets sur Internet” mentionne Guillaume Pepy. Une prise de risque payante puisque entre temps le site de vente en ligne de billets est devenu un des acteurs majeur de l’e-commerce français.
Reste que l’aventure du numérique fut loin d’être tranquille assure le patron de la SNCF. En 2014 l’entreprise se dote d’un CDO, Yves Thyrode, charger “d’essuyer les plâtres”. Et après le bref temps de l’espoir vint celui de la désillusion.
“Ces gens là on les appelle jemelapete.com”
“Ca n’a pas changé grand chose à part la joie des chefs de projets de se prendre pour Bill Gates” souligne Guillaume Pepy. “Là on se rend compte que c’est dans l’organisation que se trouve la clé de la transformation digitale”. Pas simple car la tête de l’entreprise est la première a renâcler. “Nous sommes nous même, la Direction Générale, des obstacles et des ralentisseurs au changement, et ce même si nous nous voyons comme des transformateurs extraordinaires”.
Et d’enfoncer le clou : “Tous les PDG ont des discours casher sur la transformation numérique. Mais dans le réel ça frotte très fort”. D’où la difficulté évidemment à embarquer les équipes dans les projets de transformation digitale des très grandes entreprises.
“Le digital est souvent en marge de l’IT et de l’entreprise” regrette Guillaume Pepy. “Ces gens là (les responsables des projets numériques) à la cantine on les appelle jemelapete.com”. La faute peut être à une époque où les CDO et autres chefs de projets numériques sont portés au pinacle au détriment de ceux qui assurent la production quotidienne. “95 % de la boite avait la sensation d’être reléguée dans l’ancien monde. Surtout quand on essayait de marier legacy et digital, alors que le legacy gérait tous les problèmes de la boite. On a été très embêté sur ce point”.
“Pas mal de projets digitaux ont été au tapis”
Car oui, le numérique n’est en rien une solution miracle. “En plus le digital ne répond pas aux problématiques de grande transformation de l’entreprise” assène Guillaume Pépy. “Nous sommes dans la planification, dans l’allotissement. Nous avons une culture de programme et de gestion de méga-projet. C’est un temps qui ne colle pas avec la culture du digital”.
“On essaie de marier une culture digitale et une culture industrielle, mais le temps industriel n’est pas celui du digital. Les projets digitaux ont des durées de vie courte et pas mal de projets digitaux ont été au tapis parce qu’ils n’avaient pas de temps pour croitre” regrette t-il.
Changer le modèle de management ? Ultra compliqué
Faut-il alors jeter à la poubelle les modèles managériaux classiques pour s’adapter à l’économie du numérique ? Un modèle de management à plat comme chez Google est il transposable à la SNCF ?
“Le modèle managérial des digital native ne se met pas en place d’un claquement de doigt” met en garde le dirigeant. Surtout que le modèle de développement économique sous-jacent des entreprises la Silicon Valley, dit “Core and Explore”, est très compliqué à mettre en œuvre. “C’est le plus difficile” admet Guillaume Pepy. “Réinventer le cœur de métier et développer de nouveaux modèles économiques. Faire du Explore à côté du Core, c’est aller vers deux boites distinctes. Marier les deux est très difficile” diagnostique t-il.
Il souligne tout de même que le recrutement de cadres venus du monde du digital sur des postes clés, tel Pierre Matuchet, donne satisfaction. “On mis comme patron de la production du TGV un startuper, et ce alors que 150 ingénieurs se battaient sur le poste” dit le dirigeant.
“15 à 20 % ont honte de ne pas être à bord, cachent et masquent leur méconnaissance”
Autre obstacle relevé par le PDG de la SNCF dans le voyage vers la transformation numérique de l’entreprise, la transmission des compétences numériques. “A la SNCF, 25 % des personnels sont embarqués (ont des compétences numériques), 40 à 50 % pensent que c’est un mal nécessaire, et 15 à 20 % ont honte de ne pas être à bord, cachent et masquent leur méconnaissance et leur manque d’envie” dit-il.
Problème, la formation ne marche pas. “Plus les gens ont du mal avec le digital moins il faut les envoyer en formation, en “redressement digital”” mentionne t-il. Il faut au contraire “les accompagner au quotidien dans leur travail”. Et de prôner pour ceux qui sont à l’écart du digital la ressource humaine. “Il faut des bénévoles, du mécénat de compétence, qui permet d’aborder avec eux dans le cadre de leur travail quotidien les outils”.
“Des collaborateurs s’inventent des systèmes de suivi sans les inconvénients des ERP”
C’est pour cette raison peut-être que pour le dirigeant du rail français, tout commence par le device. “Considérons que dans une société de 140 000 personnes il faut 140 000 devices. Surtout que les salariés ont souvent mieux à la maison. Admettons l’usage personnel parce que si l’on veut que le device devienne l’ami du salarié, tous les usages ont du sens. Ne bridons pas les usages”.
Mais qui dit appareil connecté dit aussi capacité a correctement connecter les collaborateurs. “Oui, la connectivité est une galère. Entre les codes, les autorisations, les habilitations, la liberté des usagers est loin d’être totale. On a pas très bien réussi sur ce point”.
Reste quelques éléments positifs à tirer de la mise en place d’une culture numérique dans l’entreprise. “On voit des équipes face à des défis clients ou industriels qui travaillent de façon formidable, horizontale, avec une grande liberté” assure Guillaume Pepy. Et de préconiser l’agilité des méthodes numériques, élaborées depuis le terrain, dans certaines situations. “Nous avons constaté que des collaborateurs s’inventent des systèmes de suivi sans les inconvénients des gigantesques systèmes ERP” relève Guillaume Pepy.
Quelles missions numériques pour Jean-Pierre Farandou ?
“Un des enjeux compliqués c’est de réconcilier l’usage facile et le numérique. On a un taux d’utilisation de nos systèmes qui est très bas. Quand on regarde ce que les gens utilisent vraiment, ce n’est que 30 ou 40 %” dit Guillaume Pepy. “On aurait du apprendre avec l’écosystème des applications mobiles que quand on utilise pas ou peu, c’est mort.” Du pain sur la planche pour Jean-Pierre Farandou donc.
Autre enjeu de taille pour le nouveau patron de la SNCF, gommer les craintes de l’arrivée de l’IA en lien avec l’emploi. “Il faut réconcilier les gens avec l’IA qui est apparue pour les salariés comme une menace horrible. Dans nos métiers de service, la crainte c’est la modélisation de l’expérience humaine et les gens qui sont dans des tâches de conception sont très inquiets sur ce point” lui dit son prédécesseur.
Surtout que les gains de productivité de la mise en place de projets numériques à la SNCF font déjà saliver les dirigeants. “Le digital industriel, c’est vertigineux. Le prédictif peut faire gagner des taux de productivité à deux ou trois chiffres. Mais ça pose la question des compétences : il faut investir massivement sur les salariés”.
Message aux Directions Générales
Le bilan de Guillaume Pepy à la tête de la SNCF côté transformation numérique, au delà du contexte, peut aussi inspirer d’autres dirigeants. “Les différents Comex doivent d’interroger sur le rôle du Comex dans la transformation digitale” dit à ce propos Guillaume Pepy.
“Le digital a t-il transformé les tableaux de suivi du Comex ? La DRH est elle moteur dans le digital ? C’est important parce que les salariés voient la différence entre le discours du Comex et la réalité.”
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