Le gouvernement reçoit Laurent Berger pour une réunion sur les retraites, vendredi 10 janvier. — Jacques Witt/SIPA
Edouard Philippe a proposé dans une lettre aux organisations syndicales une conférence de financement des retraites en échange d’un retrait provisoire de l’âge pivot.
Mais le cadre, serré, restreint les marges de manœuvres et les possibilités d’accord.
D’autant que cette conférence ne porte pas sur le cœur de la réforme.
Ils ont jusqu’à fin avril pour s’entendre et proposer des solutions pour atteindre l’équilibre financier en 2027 – soit trouver environ 12 milliards d’euros –, sous peine du maintien de l’âge pivot. Autant dire que la mission des partenaires sociaux ne s’annonce pas simple. 20 Minutes fait le point sur les enjeux de cette conférence de financement des retraites.
Quel est le cadre de cette conférence ?
Le cadre proposé par Edouard Philippe dans sa lettre aux partenaires sociaux est très serré puisque « les mesures destinées à rétablir l’équilibre ne devront entraîner ni baisse des pensions […] ni hausse du coût du travail », donc des cotisations. Or vu ces contraintes, « il y aura forcément une mesure d’âge, estime Bertrand Martinot, expert des retraites au sein du think tank libéral Institut Montaigne. On ne peut pas sérieusement faire 12 milliards d’euros d’économies, de manière pérenne et récurrente, sans mesure d’âge ». Ce qui ressemble drôlement à un âge pivot…
Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’Université de Bourgogne, juge le cadre moins contraint qu’il n’y paraît. En effet, le projet de loi prévoit une pension calculée sur l’ensemble de la carrière et non plus les 25 meilleures années (pour le privé), « donc arithmétiquement, il y aura une baisse des retraites, affirme le professeur. Alors quand le gouvernement dit qu’il ne veut pas baisser les pensions, c’est par rapport au système actuel ou par rapport à ce que prévoit la réforme ? » Et de cette incertitude peut naître une marge de négociation.
Quelles sont les attentes des syndicats vis-à-vis de cette conférence ?
Evidemment, la CFDT est la plus optimiste vis-à-vis de cette conférence de financement, qui est d’ailleurs une idée de Laurent Berger. Avec l’Unsa, « ils veulent discuter sérieusement du financement et jouer le jeu du régime universel », avance Dominique Andolfatto. « La CFDT veut essayer d’éviter une mesure d’âge d’où la conférence, mais elle devra mettre de l’eau dans son vin, juge Bertrand Martinot, peut-être qu’elle accepterait un âge d’équilibre de 63 ans au lieu de 64. »
A l’opposé, le pôle plus contestataire rassemblant la CGT, FO, Sud et FSU. « Si ces syndicats y vont, ce n’est pas pour faire que de la présence, ils vont aligner quelques arguments, analyse le professeur de sciences politiques. Ils ne sont pas parvenus à faire échouer la réforme en s’y prenant frontalement, mais en participant à la conférence, ils peuvent penser arriver à leurs objectifs en attaquant de façon plus tactique, en parlant financement pour montrer que tout le projet ne tient pas et doit être retiré. »
Enfin, les organisations patronales sont plutôt emballées par l’idée, le Medef annonçant samedi s’engager « pleinement dans la conférence de financement ». Néanmoins précise Dominique Andolfatto, « elles sont allergiques à une hausse des cotisations, c’est la ligne rouge pour eux ». Tant mieux pour elles, c’est également une ligne rouge pour le gouvernement.
Un accord est-il possible ?
« S’il y a un accord il sera minoritaire, étant donné la situation syndicale », estime le politologue. « Il n’y a que la CFDT qui peut vraiment toper, ajoute Betrand Martinot. Il y a aussi l’Unsa mais elle n’est pas représentative au niveau national. » Pour l’expert de l’Institut Montaigne, c’est la CFDT qui détient en partie les clés d’un éventuel accord avec « des mesures de bricolage de court terme en mobilisant le fonds de réserve pour les retraites, en affectant des taxes au financement des retraites. Peut-être que le point de sortie, c’est de revenir à 63 ans avec un cocktail de mesures un peu pipeau. »
Mais il met en garde : « Ces mesures de recettes reviendraient très exactement à creuser des trous ailleurs pour boucher celui des retraites » et « mobiliser un fonds de réserve pour financer des dépenses courantes, ça n’a pas sens ». Mais l’enjeu pour le gouvernement est d’avoir « un accord ou, à tout le moins, un relevé de conclusions communes qui seraient acceptables par les syndicats réformistes », juge Dominique Adolfatto. Enfin dans l’hypothèse où l’accord signé n’est pas bon, le gouvernement acceptera-t-il de le reprendre ?
Quelle incidence sur le processus législatif ?
Cette conférence tombe en pleine lecture du projet de loi par l’Assemblée et les conclusions devraient être rendues juste avant la deuxième lecture afin d’y être intégrées à temps. « On va quand même avoir un Parlement qui va être saisi en première lecture d’un projet de loi impliquant une évolution sur des décennies mais qui ne présente pas de tableaux de financement, s’étonne Bertrand Martinot. Si j’étais parlementaire, je ne voterais pas ! »
Au final, cette conférence va-t-elle changer quelque chose ?
Rien ou presque, estime l’expert de l’Institut Montaigne. Principalement parce que la conférence de financement est focalisée sur une mesure de redressement à court terme de 12 milliards, et ne porte pas sur la réforme dans sa globalité. « Le gouvernement n’a pas reculé sur l’essentiel car, en régime de croisière, il y aura bien un âge d’équilibre à long terme, pointe Bertrand Martinot. Dans le projet de loi, il y a un âge d’équilibre qui est la variable d’ajustement pour que le système soit en moyenne équilibré tous les 5 ans. La loi à long terme est totalement verrouillée, vous avez une règle d’or, le principe d’équilibre, et un paramètre qui permet d’y arriver, l’âge d’équilibre qui augmentera au fil des générations. » Au final, « le seul sujet, c’est la transition 2022-2027, où on a un vrai problème transitoire de sous-financement du régime des retraites ». Les syndicats savent ce qui les attend.
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