Il a donc fini par le faire. Plus d’un mois après avoir annoncé le dispositif retenu pour rétablir l’équilibre de l’Assurance vieillesse au moment de la mise en place du nouveau système universel de retraite par points, Edouard Philippe a annoncé ce samedi qu’il retirait cette mesure qui braquait une partie des syndicats, CFDT et Unsa en tête.
«Je suis disposé à retirer du projet de loi la mesure de court terme que j’avais proposée, consistant à converger progressivement à partir de 2022 vers un âge d’équilibre de 64 ans en 2027», écrit le Premier ministre dans un courrier envoyé aux partenaires sociaux au lendemain de nouvelles concertations à Matignon sur le «financement» des retraites et en pleine journée de mobilisation à l’appel des syndicats. Pour bénéficier d’une pension à taux plein, sans malus, une personne née en 1960 devait, même si elle avait tous ses trimestres, travailler quatre mois de plus. Quatre mois supplémentaires pour une autre née en 1961 et ainsi de suite jusqu’à un âge pivot de 64 ans dès la génération 1965.
Le fil de la journée de samedi Mobilisation contre la réforme des retraites
Pour autant, le chef de gouvernement met simplement son mécanisme de côté en attendant que les organisations syndicales et patronales lui proposent autre chose. Exactement ce qu’il répète depuis plus d’un mois et son discours du 11 décembre devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese). S’il fait ce geste de «retirer» cette mesure transitoire du texte de loi pour répondre au patron de la CFDT, Laurent Berger, c’est avant tout «pour démontrer sa confiance envers les partenaires sociaux et ne pas préjuger de l’issue de leurs travaux». Donc pas forcément pour l’abandonner.
Un retrait temporaire ?
Jusqu’ici, c’était à la future gouvernance du système universel, composée de représentants des partenaires sociaux, de trouver une meilleure solution d’ici le 1er septembre 2021. Finalement ces «travaux», comme le dit Philippe dans sa lettre, auront pour cadre la «conférence de financement» proposée dimanche dernier par Berger. Mais avec un timing plus serré : le patron de la CFDT souhaitant juillet ou septembre, syndicats et patronats devront finalement rendre leur copie «fin avril» afin que le gouvernement puisse, si on lui fait une proposition, «en tenir compte lors de la seconde lecture» du texte au Parlement. Philippe cadre d’ailleurs cette négociation : il n’acceptera pas d’accord qui entraînerait une «baisse des pensions» ou une «hausse du coût du travail». Le chef du gouvernement laisse donc la porte ouverte à une augmentation des cotisations vieillesse… à condition que le patronat bénéficie d’autres baisses d’impôts.
«Dans l’hypothèse où un accord ne pourrait intervenir, ajoute le Premier ministre, le gouvernement […] prendra par ordonnances les mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre d’ici 2027 et financer les nouvelles mesures de progrès social.» S’il ne dit pas clairement qu’il ressortirait alors son mécanisme d’âge pivot du placard, Philippe le laisse entendre : «Je veux être parfaitement clair sur ce point : je prendrai mes responsabilités.»
Droite contrée, majorité ressoudée
Ce «compromis» avec la CFDT vanté dès samedi soir par les dirigeants de la majorité ne coûte finalement pas très cher au Premier ministre. Médiatiquement, Philippe peut afficher sa «souplesse» et s’appuyer sur les communiqués de la CFDT et de l’Unsa pour isoler les opposants à la réforme (CGT, Force ouvrière…), engagés dans cette longue grève, dans une posture «jusqu’au-boutiste» et de simple défense des régimes spéciaux. Le front syndical définitivement brisé, le Premier ministre peut espérer, ensuite, des sondages moins défavorables à sa réforme et beaucoup plus défavorables au mouvement social.
Sur le terrain politique, en gardant au chaud cet outil «responsable» de l’âge pivot, il peut répondre à la droite qui attendait la moindre concession pour dénoncer un «recul». Et cette astuce d’en passer finalement par ordonnances pour rétablir l’équilibre du système lui épargnera bien des tensions avec sa majorité à l’Assemblée. Les députés LREM ont défendu en 2017 le principe d’une réforme «systémique» (la refonte du système actuel en un régime universel par points) mais n’avaient pas signé pour des changements «paramétriques» censés faire travailler plus longtemps des personnes à moins de cinq ans de la retraite. Enfin, sur le fond de la réforme, le Premier ministre n’a, finalement, pas beaucoup bougé depuis la présentation de la réforme au Cese début décembre.
L’autre âge pivot toujours là
D’ailleurs, si le mécanisme destiné à rétablir les comptes de l’assurance vieillesse est «retiré» du texte, il reste, dans le projet de loi, un autre âge pivot : celui qui permettra, dans le système universel, de maintenir automatiquement l’équilibre. Le Premier ministre précise dans sa lettre que le principe de cet autre «âge d’équilibre», s’il pourra «être adapté pour refléter la diversité des carrières professionnelles, et notamment les situations de pénibilité ou de carrière longue», n’est pas négociable.
Or, cette «référence collective» obligera les futures générations – y compris celles qui ont commencé tôt – à travailler plus longtemps puisqu’elle sera fixée en fonction de «l’âge moyen» de départ constaté au moment de la bascule dans le futur système (autour de 64 ans) et évoluera en fonction de l’espérance de vie. Ce dispositif avait été (déjà) préconisé par l’ex-haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye dans son rapport rendu en juillet. A l’époque, la CFDT avait trouvé la mesure «injuste» et «stupide». En leur mettant sous le nez, entre-temps, un autre âge pivot en guise de chiffon rouge, Philippe a réussi à leur faire oublier. Lilian Alemagna
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