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RECIT. Des révélations à la volte-face, comment Murielle Bolle a complètement fait basculer l’

Entre le 31 octobre et le 7 novembre 1984, Murielle Bolle, témoin-clé dans l’enquête sur la disparition et le meurtre du petit Grégory, a été entendue plusieurs fois par les gendarmes. Une semaine durant laquelle elle est revenue sur ses premières déclarations qui accusaient son beau-frère, Bernard Laroche.

Que s’est-il passé dans les bureaux de la brigade de Bruyères (Vosges), le 2 novembre 1984 ? Ce jour-là, Murielle Bolle, une adolescente de 15 ans, est interrogée comme témoin dans l’affaire Grégory, ce petit garçon dont le corps sans vie a été repêché dans la Vologne, à Docelles (Vosges), le 16 octobre 1984. Enlevé alors qu’il jouait devant la maison familiale à Lépanges-sur-Vologne, il avait été retrouvé dans la rivière, ligoté, quelques heures plus tard.

Très vite, l’enquête met au jour les secrets et les jalousies qui régissent les relations entre Jean-Marie et Christine Villemin, les parents du petit Grégory, et le reste de la famille. Les gendarmes découvrent l’existence d’un corbeau qui écrit des lettres et passe des coups de fil depuis plusieurs années aux membres de la famille Villemin. Les enquêteurs pensent tenir ledit corbeau lorsqu’ils interpellent Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie Villemin et beau-frère de Murielle Bolle. Dans un premier temps, celle-ci confirme l’alibi de celui qui est marié à sa sœur Marie-Ange. Puis déclare finalement le 2 novembre que son beau-frère a enlevé l’enfant.

Cette version va tenir cinq jours, jusqu’au 7 novembre, où elle se rétracte, affirmant que les gendarmes lui ont soutiré ses aveux par la violence et la menace. Des accusations récusées par les gendarmes, le capitaine Etienne Sesmat en tête. Trente-cinq plus tard, en février 2019, la Cour de cassation avait reconnu que cette garde à vue avait été effectuée en application de dispositions ‘inconstitutionnelles‘”. Jeudi 16 janvier, la cour d’appel de Paris doit se prononcer sur la validité de cette garde à vue. Une décision qui peut faire s’écrouler toute l’enquête.

Le 31 octobre 1984, Bernard Laroche est en garde à vue, sur la base des rapports établis par des experts en graphologie sur des lettres du corbeau. Après 24 heures et faute de preuves, lui et son épouse Marie-Ange sont relâchés. Dans la soirée, face aux journalistes d’Antenne 2 et à Laurence Lacour, correspondante pour Europe 1, il assure avoir un alibi : “J’ai ma belle-sœur qui m’a vu quand elle est rentrée de l’école, je n’ai guère que ça comme alibi”. Ainsi apparaît Murielle Bolle, petite sœur de Marie-Ange. Avec sa chevelure rousse, difficile de ne pas la remarquer.

Lorsqu’il raconte le déroulé de sa journée du mardi 16 octobre, Bernard Laroche confie aux gendarmes que sa belle-sœur était là lorsqu’il est rentré chez sa tante Louisette, en fin d’après-midi : “Il devait être 17h30. A mon arrivée était présente ma belle-sœur, Murielle Bolle, âgée de 15 ans”. Cette dernière vit chez le couple Laroche, à Aumontzey (Vosges), pour s’occuper de leur fils, Sébastien. Une version confirmée par l’intéressée, à un détail près : elle affirme que Bernard Laroche était déjà présent à son arrivée chez la tante.

Murielle Bolle (à gauche) accompagnée par l\'un de ses frères et sa mère le jour de sa confrontation avec Bernard Laroche, le 9 novembre 1984, à Nancy (Meurthe-et-Moselle).

Murielle Bolle (à gauche) accompagnée par l’un de ses frères et sa mère le jour de sa confrontation avec Bernard Laroche, le 9 novembre 1984, à Nancy (Meurthe-et-Moselle). (ER / MAXPPP)


Le lendemain, Murielle Bolle est à nouveau interrogée par les gendarmes. Dans son récit de la journée du mardi 16 octobre, jour de la disparition de Grégory, un détail met la puce à l’oreille des gendarmes : elle assure être rentrée du collège en prenant le bus scolaire, mais ne décrit pas le bon chauffeur. Ses amis confirment d’ailleurs aux gendarmes son absence du car. Devant ces zones d’ombre, Murielle Bolle est encore soumise à un interrogatoire, le lendemain, cette fois-ci à la gendarmerie. Nous sommes le 2 novembre et l’affaire Grégory va connaître un premier rebondissement.

Ce vendredi 2 novembre, la garde à vue de Murielle Bolle débute à 9h30, dans les bureaux de la gendarmerie de Bruyères. Elle durera toute la journée. L’adolescente est entendue à plusieurs reprises par différents gendarmes. Cet épisode est longuement raconté dans de multiples ouvrages : celui de la journaliste Laurence Lacour, Le Bûcher des innocents (éd. Les Arènes, 1993), celui du capitaine Etienne Sesmat, Les Deux Affaires Grégory (éd. Belfond, 2006), ou encore celui de Murielle Bolle, Briser le silence (éd. Michel Lafon, 2018). Les versions diffèrent et s’affrontent. La journaliste et le capitaine écrivent que face aux questions et aux contradictions, Murielle craque.

Je vous ai menti. Le mardi 16 octobre, je n’ai pas pris le car en sortant du collège. Alors que je me rendais au car comme d’habitude, j’ai été appelée par mon beau-frère, Bernard Laroche. Il m’a appelée ‘Bouboule’, mon surnom.Murielle Bolleextrait du procès-verbal du 2 novembre 1984

La suite de cette déposition, reconstituée dans l’épisode 2 du documentaire La Malédiction de la Vologne, réalisé par Pierre Hurel, raconte le déroulé de cette fin d’après-midi du 16 octobre. “On s’est rendus a Lépanges-sur-Vologne (où habitent les Villemin). Bernard s’est arrêté, il est descendu de la voiture sans me donner aucune explication. Bernard est revenu avec un petit garçon que je ne connaissais pas. Il le conduisait par la main, a ouvert la portière et l’a fait monter”, se remémore Murielle. “Elle déclare que l’enfant monté dans le véhicule de Bernard Laroche était bien celui qu’elle a vu le lendemain dans le journal”, écrit Laurence Lacour dans son livre. La voiture reprend ensuite son chemin direction Docelles (Vosges), village situé à quelques kilomètres de Lépanges. “A cet endroit, Laroche est descendu, dit-elle, avec le petit garçon puis, quelques instants plus tard, est revenu seul”, poursuit la journaliste. “Elle raconte le scénario de l’enlèvement et de la disparition du petit Grégory”, souffle Etienne Sesmat dans le documentaire Netflix Grégory, réalisé par Gilles Marchand.

Vers 17 heures, quand le capitaine prend connaissance de ces déclarations, il s’estime “sidéré et soulagé” par de tels aveux. “Je connais parfaitement les gendarmes qui l’ont interrogée et j’ai la plus grande confiance en eux. Je sais que ses aveux n’ont pas été obtenus par la pression, encore moins par la violence”, couche-t-il dans les pages de son livre. “Murielle, tu viens de dire quelque chose de très grave, tu accuses ton beau-frère d’avoir commis un crime, il va aller en prison, c’est grave”, lui précise le gendarme Yves Burton, qui témoigne dans le documentaire de Netflix. Mais selon lui, elle confirme ses propos : “Elle a relu son audition et m’a dit : ‘J’ai dit la vérité'”.

Les gendarmes jugent alors bon de l’emmener voir le juge Jean-Michel Lambert, chargé de l’instruction. Mais en ce week-end de la Toussaint, ce dernier a d’autres projets. “C’est un magistrat assez atypique. Ce n’était pas un homme désagréable, mais sur le plan professionnel ce n’était pas un magistrat très, très fiable”, avance Etienne Sesmat. “Je suis assez abasourdi d’une telle légèreté, ajoute-t-il, là on a un témoin majeur qui nous avoue sa participation à l’enlèvement de l’enfant et on a un juge d’instruction qui dit qu’il a autre chose à faire”. Le juge Lambert recommande “de garder Murielle pour la nuit afin de vérifier si le lendemain elle confirmera ses dires, dont la portée paraît lui échapper”, écrit Laurence Lacour. Il justifie des années plus tard ce comportement en avouant avoir été “assez sceptique” face à de tels aveux. “C’était trop beau pour être vrai”, pensait-il.

Murielle Bolle entourée des gendarmes et du juge Lambert le 7 novembre 1984.

Murielle Bolle entourée des gendarmes et du juge Lambert le 7 novembre 1984. (MAXPPP)


Murielle passe alors la nuit dans la gendarmerie de Bruyères, non sans avoir rassuré son père Lucien Bolle, présent à la gendarmerie pour être entendu sur la personnalité de sa fille. “Ça va bien. Je suis mieux qu’à la maison. Les gendarmes, c’est mes copains”, peut-on lire dans un procès-verbal de confrontation de Muriel Bolle avec les gendarmes datant 29 janvier 1985, cité dans le livre de Laurence Lacour. Le lendemain, le 3 novembre, de nouveau interrogée par les gendarmes dès 8h30, elle maintient ses affirmations.

J’ai réfléchi et j’ai pensé qu’il valait mieux dire la vérité car c’était une chose trop grave pour la cacher. Je suis soulagée d’avoir tout dit sur cette affaire. Je n’ai aucune précision à apporter sur la présente déclaration.Murielle Bolleextrait du procès-verbal du 3 novembre 1984

Vers 10 heures du matin, elle est examinée par son médecin de famille, Georges Rousseau. Celui-ci atteste, dans un certificat datant de ce jour, “n’avoir constaté aucune anomalie cliniquement perceptible dans son comportement physique et mental”. A nouveau sollicité pour entendre Murielle Bolle, avant la fin de sa garde à vue, le juge Lambert ne se libère pas et les gendarmes sont contraints de la ramener chez elle. Le samedi 3 novembre, vers midi, elle est reconduite chez ses parents, à Laveline-devant-Bruyères, par le capitaine Etienne Sesmat. Il demande alors à Lucien et sa fille “de taire ce qu’ils savent durant le week-end”. Avant de partir, il croise Bernard et Marie-Ange Laroche, venus à la maison. “On est dans une situation qui est complètement dingue, il y a des gens que l’on soupçonne et pourtant tout le monde est en liberté, on est dans le break judiciaire de manière totalement incompréhensible”, déplore-t-il. La jeune fille, qui accuse son beau-frère d’un crime, passe donc le reste du week-end en famille, comme si de rien était.

Lundi 5 novembre, le juge Lambert reçoit la jeune fille pour l’auditionner. “Elle réaffirme, sans notre présence, tout ce qu’elle nous a dit le vendredi et le samedi”, confie le capitaine dans le documentaire de Netflix. Le magistrat décide alors de mener une reconstitution du trajet du 16 octobre, avec la jeune fille. Et peu après 13 heures, Bernard Laroche est interpellé sur son lieu de travail, devant les caméras de télévision. Lorsqu’il arrive au palais de justice d’Epinal, il assure “être innocent”. Mais plus tard dans la journée, Jean-Michel Lambert affirme face aux journalistes avoir inculpé d’assassinat Bernard Laroche grâce à un “témoignage capital et en partie un rapport d’expertise”. Il lâche le prénom de Murielle et affirme “qu’elle était dans la voiture (de Bernard Laroche)” ce 16 octobre.

Nous avons, aussi bien les gendarmes que moi-même, interrogé longuement Murielle qui, à chaque fois, a bien confirmé ce qu’elle avait dit. J’ai bien mis l’accent sur l’engagement qu’elle prenait et à chaque fois, elle a maintenu.Jean-Michel Lambert, juge d’instructionà Europe 1, le 5 novembre 1984

Le juge d\'instruction chargé de l\'affaire Grégory, Jean-Michel Lambert, dans son bureau à Epinal (Vosges), le 5 novembre 1984.

Le juge d’instruction chargé de l’affaire Grégory, Jean-Michel Lambert, dans son bureau à Epinal (Vosges), le 5 novembre 1984. (JEAN-CLAUDE DELMAS / AFP)


Cette conférence de presse “largement improvisée”, selon Etienne Sesmat, est le moment où le magistrat “dépasse les bornes, franchit la ligne jaune. Il n’aurait pas dû donner le nom de Murielle”, regrette l’officier. “Qu’est-ce qu’il fait de cette pauvre fille ? Il la laisse dehors, il la laisse à la merci du clan”, constate Isabelle Baechler, journaliste qui a couvert l’affaire pour Antenne 2 à l’époque. Lundi soir, Murielle passe donc la soirée en famille alors que son beau-frère, lui, est transféré du palais de justice d’Epinal à la maison d’arrêt de Nancy. “Cette nuit-là, à Laveline-devant-Bruyères, les proches voisins de la famille Bolle perçoivent les cris et les pleurs de Murielle, violemment secouée par sa sœur Marie-Ange”, écrit Laurence Lacour.

Après cette nuit où “elle aurait été battue, elle aurait été brutalisée”, selon le journaliste Jean Ker qui couvre l’affaire pour Paris Match, la jeune fille, accompagnée de sa mère Jeanine Bolle, se présente à nouveau face au juge. Elle se rétracte, dit qu’elle a “menti”, relate la jounaliste d’Europe 1, par “peur des gendarmes”, mais le magistrat “garde secrète cette volte-face”, précise-t-elle dans son livre. Finalement, Murielle Bolle décide de ne plus garder ses déclarations pour le seul juge. Et le 7 novembre, vers 10 heures, les frères de Murielle donnent rendez-vous aux journalistes devant la maison familale. Là, la jeune fille raconte une tout autre histoire.

Je n’étais pas dans la voiture de Bernard, je n’ai jamais été sur Lépanges, tout ça. Je n’ai jamais été où le gosse a été noyé, je ne connais pas Lépanges, ni Docelles.Murielle Bolleà Antenne 2, le 7 novembre 1984


Elle accuse les gendarmes de l’avoir menacée de l’envoyer en maison de correction. “Il y a un gendarme qui a élevé la voix et j’ai eu peur. Ils m’ont dit que Bernard Laroche avait fait ça et j’ai montré pareil”, ajoute-t-elle avant de conclure au bord des larmes : “Bernard est innocent, mon beau-frère il est innocent, je n’ai jamais été avec mon beau-frère”.

Ce virage à 180 degrés ne déroute pas le juge Lambert, qui assure qu’il s’y “attendait”. Le 8 novembre, dans une interview au Figaro, il certifie même que la jeune fille a subi “des pressions de sa famille”. En 1987, le juge Lambert sera dessaisi de l’enquête au profit d’un juge plus expérimenté, Maurice Simon. Désigné responsable de ce fiasco judiciaire, le juge Lambert, surnommé “le petit juges’est suicidé le 11 juillet 2017. Dans une dernière lettre, il écrivait refuser d’être un bouc émissaire” et réaffirmait l’innocence de Murielle Bolle. Elle, depuis sa spectaculaire volte-face devant les caméras, n’a plus dévié, ni changé de version. Si je savais quelque chose, je le dirais, lance-t-elle dans une interview au Parisien pour la sortie de son livre Briser le silence. Elle y revient, sur une dizaine de pages, sur cette garde à vue du 2 novembre 1984. “Les 24 heures”, la nomme-t-elle, “sans que personne (lui) dise quels sont (ses) droits, ni (lui) explique quoi que ce soit”.

Elle se rappelle du moment où “un gendarme se met à crier”. “Comme ça, tout d’un coup, il hurle et me traite de menteuse”. Au fil des lignes, elle décrit l’agressivité et l’insistance de la part des gendarmes. Leur manipulation aussi : “Ils dévoilent ce qu’ils veulent me faire dire : Bernard est venu me chercher au collège en voiture.” Après des heures d’interrogatoire (“Je sais qu’il est tard”) et une énième relance, elle craque. “Quand ils répètent : ‘Donc, Laroche, il est venu te chercher au CES, hein ?’, je finis par souffler oui”, écrit-elle. “Et je ne pourrai jamais me le pardonner car sans ça, Bernard serait toujours avec nous”, conclut-elle. En effet, ces aveux, sciemment donnés ou soutirés sous la contrainte, conduiront à l’assassinat, le 29 mars 1985, de Bernard Laroche. Persuadé que son cousin a tué son fils, Jean-Marie Villemin l’abat devant son domicile, d’un tir de carabine. Condamné à cinq ans de prison pour ce crime, le père du petit Grégory n’a jamais cru au revirement de Murielle Bolle. “Tu as deux enfants. Je sais que tu aimes les enfants…, lui a-t-il lancé lors de son procès. Il faudra plus tard que tu puisses regarder tes enfants en face. Je te plains, avec un secret pareil.”A lire aussi Sujets associés

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