Le jeune homme de 22 ans a signalé sur Twitter, vendredi soir, la présence d’Emmanuel Macron au théâtre des Bouffes du Nord.
“Je suis actuellement au théâtre des Bouffes du Nord (Métro La Chapelle). 3 rangées derrière le président de la république. Des militants sont quelque part dans le coin et appelle [sic] tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare… la soirée risque d’être mouvementée”. Il est un peu moins de 21 heures, vendredi 17 janvier, quand Taha Bouhafs, reporter engagé du site Là-bas si j’y suis, publie ce tweet. Une heure plus tard, le chef de l’Etat et son épouse sont mis à l’abri dans une autre pièce du célèbre théâtre parisien, alors que des manifestants tentent (en vain) de s’introduire dans le bâtiment.
Je suis actuellement au théâtre des bouffes du Nord (Métro La Chapelle) 3 rangées derrière le président de la république. Des militants sont quelque part dans le coin et appelle tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare… la soirée risque d’être mouvementée. pic.twitter.com/0mfwQPwdzr — Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) January 17, 2020
Le chef de l’Etat et son épouse finissent par regagner leur siège pour suivre la fin de la représentation de La Mouche. Taha Bouhafs, lui, est aussitôt placé en garde à vue pour “participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations”. Une infraction passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende, selon le Code pénal. Franceinfo vous résume qui est Taha Bouhafs, “journaliste des luttes”, comme il se définit lui-même sur les réseaux sociaux.
Il couvre les mouvements sociaux
“Gilets jaunes”, violences policières, manifestations lycéennes et étudiantes, mobilisations en faveur des sans-papiers… Taha Bouhafs couvre les mouvements sociaux pour le site d’actualités Là-bas si j’y suis, dont il est salarié depuis fin 2018. Le site, créé en 2015 par le journaliste et producteur Daniel Mermet, est reconnu par la Commission paritaire des publications et agences de presse.
Dans les colonnes de StreetPress, ce dernier décrit Taha Bouhafs comme quelqu’un qui “aime le terrain, c’est rafraîchissant (…) Lui va éprouver les choses sur place. Il pense avec ses pieds”. Pas plus tard que vendredi, il se trouve devant les locaux de la CFDT à Paris, cible d’une intrusion. La veille, il suit le cortège contre la réforme des retraites dans les rues de la capitale.
Le 20 avril 2018, il se fait remarquer sur les réseaux sociaux en dénonçant l’évacuation de la faculté de Tolbiac (Paris) par les CRS. Dans une vidéo, on entend le jeune homme de 22 ans lancer des “grosses merdes” aux policiers. Ce jour-là, il participe également à la diffusion d’une rumeur selon laquelle un étudiant est grièvement blessé à la tête après une chute. Une information qui sera reprise par les sites Reporterre et Le Média. Sauf qu’une enquête de Libération révèle que les témoignages sont faux. “Je n’étais pas journaliste à ce moment-là et je ne pensais pas que j’allais le devenir, explique-t-il après coup à nos confrères. Moi j’y ai cru parce que j’avais toutes les raisons d’y croire. Dans le contexte des violences de l’évacuation, je suis tombé dans le panneau.”
Ça m’a appris une chose : c’est de vérifier, de recouper et pas de seulement croire les gens sur parole. A l’époque, je filmais les manifs sur Twitter. Ce n’était pas une démarche journalistique assumée.Taha Bouhafsà “Libération”, en juin 2019
Toujours dans Streetpress, on apprend qu’il a arrêté l’école à 16 ans et “enchaîné les petits boulots.” “Le journalisme, ce n’était pas du tout prévu. T’en connais beaucoup des mecs qui n’ont pas le bac dans les rédactions ?”, explique-t-il dans ce portrait.
Ses engagements font débat au sein de la profession, qui le décrit comme journaliste militant. Un qualificatif qu’il réfute : “Je suis journaliste, pas journaliste militant. Je peux être militant dans ma vie de tous les jours, ailleurs que dans mon boulot, mais quand je suis journaliste, je suis journaliste, défend-il dans Reporterre. Je sais ce que cache l’utilisation du mot ‘militant‘ dans ce contexte. Ça veut dire que je suis journaliste, mais pas trop quand même…”
Il est l’auteur de la vidéo qui a déclenché l’affaire Benalla
Le Grenoblois est sur la place de la Contrescarpe (Paris), le fameux 1er mai 2018. C’est lui qui filme Alexandre Benalla en train de violenter des manifestants. La vidéo, rapidement devenue virale, révélera que c’est l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron chargé de sa sécurité qui se cache sous le casque.
ALERTA VIOLENCES POLICIÈRES DES POLICIERS TABASSENT ET GAZENT TOUT LE MONDE PLACE CONTREESCARPE !! FAITES TOURNER IL FAUT QUE TOUT LE MONDE VOIT !!#ViolencesPolicieres #1erMai pic.twitter.com/Dabr6HHwyJ — Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) May 1, 2018
Taha Bouhafs partage ensuite ses vidéos brutes à ses abonnés sur les réseaux sociaux. Ils sont 34 500 à le suivre rien sur Twitter. Ses images sont ensuite largement partagées. “C’est un héritage des luttes passées : aujourd’hui, on le sait, il faut tout filmer pour avoir des preuves”, résume son entourage dans les colonnes de Streetpress.
Il a été candidat de La France insoumise
Avant de couvrir caméra au poing les mouvements sociaux, Taha Bouhafs s’est fait remarquer en juin 2017 en tant que plus jeune candidat aux élections législatives. Alors âgé de 19 ans, il figure sur une liste de La France insoumise dans la deuxième circonscription de l’Isère. Après sa défaite, “il continue son engagement chez LFI, où il est souvent vu aux côtés des députés Eric Coquerel et Danièle Obono”, explique CheckNews.
En plus du mouvement de Jean-Luc Mélenchon, on le voit aux côtés du comité Adama (en hommage à Adama Traoré), ainsi que dans de nombreuses luttes avec les lycéens et étudiants contre Parcoursup, avec les salariés du McDo de Marseille, aux côtés des ‘gilets jaunes'”. A Streetpress, il affirme s’être depuis éloigné de la formation de Jean-Luc Mélenchon. “Les gens n’arrêtent pas de me dire que je suis un journaliste au service de La France insoumise. C’est pas le cas”, répète-t-il.
Il a déjà été interpellé
Ce n’est pas la première fois que le jeune homme de 22 ans est arrêté par les forces de l’ordre. En juin 2019, il est placé en garde à vue pour “outrage et rébellion” alors qu’il couvre une manifestation de travailleurs clandestins à Alfortville (Val-de-Marne). Il doit d’ailleurs être jugé fin février pour ces faits.
A l’époque, 23 sociétés de journalistes et de rédacteurs de médias traditionnels (dont franceinfo.fr) lui apportent leur soutien dans une tribune conjointe. Dans le texte, “les sociétés de journalistes et de rédacteurs signataires du présent texte dénoncent une nouvelle atteinte à la liberté de la presse, mais aussi au secret des sources, pierre angulaire de notre profession. Les journalistes ne peuvent tolérer d’être régulièrement pris pour cibles par les forces de l’ordre dans le cadre de l’exercice de leur métier.” A lire aussi Sujets associés
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