« Radicalisation » du mouvement de grève contre la réforme des retraites, ou manifestation légitime contre un chef de l’État critiqué? Vendredi soir, quelques dizaines de manifestants ont tenté d’entrer dans le théâtre des Bouffes du Nord, à Paris (Xe), où Emmanuel Macron et son épouse assistaient à une représentation de la pièce « La Mouche ».
Ces opposants ont été alertés de cette présence par des messages publiés sur les réseaux sociaux peu avant 21 heures. L’une des personnes l’ayant relayée, le journaliste et militant Taha Bouhafs, a peu après été emmenée au commissariat.
Que s’est-il passé ?
Plusieurs vidéos publiées sur Twitter montrent des manifestants se rassemblant, avant 22 heures, devant l’entrée du théâtre des Bouffes du Nord. L’Élysée a confirmé à l’AFP qu’Emmanuel Macron et son épouse étaient présents à l’intérieur.
On entend ces militants scander des slogans tels que « Macron démission » ou « Grève générale ». Peu après, un groupe d’environ une vingtaine d’entre eux tente de pénétrer dans l’enceinte du lieu, et sont repoussés par les portes et les forces de l’ordre. « On est là, on est là, même si Macron ne le veut pas, nous, on est là », chantent-ils, comme on l’entend sur une vidéo postée par le reporter Charles Baudry.
Vers 22h30, on voit sortir un cortège sous haute sécurité policière, et dans lequel se serait trouvé Emmanuel Macron.
Sortie du Président Emmanuel Macron du théâtre des Bouffes du Nord (Paris, 10eme) sous tension. Charge policière pour la sortie du cortège présidentielle sous les sifflets de manifestants contre la réforme des retraites. pic.twitter.com/lZBfsVc8oU — Remy Buisine (@RemyBuisine) January 17, 2020
Macron a-t-il été « exfiltré » ?
De nombreux internautes et certains médias ont aussitôt affirmé qu’Emmanuel Macron avait été « exfiltré ». Selon l’Élysée, le chef de l’État a juste été « sécurisé » quelques minutes, avant de retourner voir la pièce jusqu’au bout. D’après une employée du théâtre jointe par LCI, il serait revenu seul, sans son épouse. Sur Twitter, la députée LREM Aurore Bergé affirme également que le chef de l’État « est resté jusqu’à la fin de la représentation aux Bouffes du Nord », et qu’il « n’a en aucun cas été exfiltré ».
L’ancien conseiller de l’Élysée et garde du corps d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla, lui a rétorqué que « l’exfiltration n’a aucun rapport avec le fait de rester jusqu’à la fin ou pas », mais qu’il s’agissait « de faire une sortie sous protection, en étant encadré par les forces de l’ordre dans la version tortue ninja ».
L’exfiltration n’a aucun rapport avec le fait de rester jusqu’à la fin ou pas. C’est le fait de faire une sortie sous protection, en étant encadré par les FDO dans la version tortue ninja (le contraire d’une sortie classique tout sourire, au calme, serrage de main, …). https://t.co/xhU67DNrQT — Alexandre Benalla (@benallaoff) January 17, 2020
Pour l’anecdote, c’est Taha Bouhafs, présent au théâtre vendredi soir, qui avait filmé Benalla en train de s’en prendre à des manifestants le 1 er mai 2018. Ces images, contextualisées par Le Monde deux mois et demi plus tard, avaient valu à ce dernier d’être renvoyé de l’Élysée et fait naître l’« affaire Benalla ».
Que faisait Taha Bouhafs dans la salle ?
Le reporter engagé Taha Bouhafs avait publié à 20h58 un message indiquant qu’il se trouvait dans le théâtre, « trois rangées derrière le président de la République ».
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Certains l’ont accusé d’avoir appelé à venir manifester. Dans son message, il ne lance pas véritablement une telle injonction, mais il signale à ses près de 33 000 abonnés que « des militants sont quelque part dans le coin et appelle tout le monde à rappliquer ».
Je suis actuellement au théâtre des bouffes du Nord (Métro La Chapelle) 3 rangées derrière le président de la république. Des militants sont quelque part dans le coin et appelle tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare… la soirée risque d’être mouvementée. pic.twitter.com/0mfwQPwdzr — Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) January 17, 2020
Quelques minutes plus tard, il publie un nouveau message en forme de sondage, demandant s’il doit « lui faire une George Bush avec ma Air force one? », du nom d’un modèle de chaussures de Nike. Cette phrase fait référence à une scène, mondialement connue, s’étant déroulée le 14 décembre 2008. Le journaliste irakien Mountazer al-Zaïdi avait lancé ses deux chaussures sur le président américain situé à quelques mètres en pleine conférence de presse, sans l’atteindre mais en l’insultant.
Ce n’est pas Taha Bouhafs qui a signalé en premier, sur Twitter, la présence d’Emmanuel Macron et de son épouse dans le théâtre. À 20h46, soit douze minutes plus tôt, le compte « Comité de grève du 12ème arr de Paris » (beaucoup moins suivi, avec seulement 2307 abonnés) avait déjà signalé cette présence du chef de l’État, appelant cette fois explicitement à venir manifester « devant » le théâtre. « Il se moque de nous », était-il asséné dans le message, supprimé en fin de soirée mais dont des captures d’écran ont été réalisées.
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Taha Bouhafs a été interpellé par la police et emmené au commissariat. Il a été placé en garde à vue pour « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations », a fait savoir une source judiciaire auprès de l’AFP. Plusieurs journalistes, dont David Dufresne, se sont réunis dans la nuit devant le poste du Ve arrondissement, et ont appelé à le soutenir.
Quelles sont les réactions politiques ?
Sans surprise, les élus LREM ont dénoncé en chœur cet événement, signe d’après eux d’une « radicalisation » du mouvement social contre la réforme des retraites. Outre Aurore Bergé, le président du groupe de députés LREM, Gilles Le Gendre, a assuré que « les auteurs de ces agressions sèment la violence et la discorde ». Il faisait également référence à l’intrusion au siège de la CFDT vendredi après-midi, et à différentes cérémonies de vœux de membres de la majorité annulées.
« Inacceptable tentative d’intrusion de manifestants au théâtre des Bouffes du Nord », a aussi condamné le député LREM Richard Lioger.
Inacceptable tentative d’intrusion de manifestants au théâtre des @BouffesDuNord où @EmmanuelMacron assistait à une représentation. Interrompre des spectacles, empêcher des artistes de travailler ne sera jamais une méthode de protestation acceptable dans un pays démocratique! — Richard Lioger (@RichardLioger) January 17, 2020
Plusieurs députés LFI ont, à l’inverse, dénoncé sur Twitter l’arrestation de Taha Bouhafs. « Le président de la République exfiltré goûte à l’impopularité en pleine capitale. Faute de pouvoir argumenter, il exige la répression et l’arrestation d’un journaliste », a, par exemple, asséné la députée Mathilde Panot.
Le Président de la République exfiltré goûte à l’impopularité en pleine capitale. Faute de pouvoir argumenter il exige la répression et l’arrestation d’un journaliste. #LiberezTaha #FinDeRegne — Mathilde Panot (@MathildePanot) January 18, 2020
Si le chef de l’État n’a pas lui-même réagi, son entourage a voulu relativiser cette séquence. « Ce à quoi on assiste ces derniers jours, ce sont des actes de radicalisation de fin de mouvement assez classiques, il y a toujours eu des actions militantes violentes en fin de grève », a-t-il été indiqué au Monde.
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