Par Elise Vincent et Allan Kaval
Publié aujourd’hui à 06h02, mis à jour à 10h12
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RécitRadicalisés par l’un des leurs qui fait aujourd’hui partie des douze Français condamnés à mort en Irak, les Tahar Aouidate ont été décimés par la guerre. L’un des enfants survivant du clan est aujourd’hui détenu seul en Syrie, dans une prison pour adultes.
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<img src="https://i0.wp.com/www.ultimatepocket.com/wp-content/uploads/2020/01/mourad-on-lavait-tous-note-mort-a-roubaix-dans-les-pas-dune-famille-dont-23-membres-sont-partis-faire-le-djihad-le-monde-1.jpg?w=640&ssl=1" alt data-recalc-dims="1"><br />
SERGIO AQUINDO
C’est une absence encombrante, toujours évoquée à mots couverts, sous les brumes du nord roubaisien. Une disparition collective, dont seuls attestent encore les volets baissés de maisonnettes mitoyennes en briques rouges, fermées comme pour un départ en vacances. Hasard de l’urbanisme de l’ex-cité industrielle, le 6 rue Galilée, où vivait « Mourad », son père, sa mère, et ses quatre frères et sœurs avant de se volatiliser en 2014 pour rejoindre l’organisation Etat islamique (EI), a toujours été une impasse. Une voie sans issue s’arrêtant net sur une étendue d’herbes folles en bordure de canal, avec vue directe sur le cimetière.
Quand Le Monde a rencontré pour la première fois Mourad (pseudonyme dû à sa minorité lors des faits), fin octobre 2019, c’était en Syrie, dans un camp pour hommes surpeuplé, gardé tant bien que mal par les autorités kurdes. Il venait d’avoir 18 ans – il est né un 14 octobre 2001.
Vêtu d’une combinaison orange trop grande pour lui, il s’était longuement épanché sur ses années de guerre, le décès de deux de ses petites sœurs, et l’amputation d’une troisième touchée par un éclat d’obus de mortier. Rongé par l’anxiété, il avait aussi livré quelques bribes de son enfance, évoqué la bibliothèque municipale, le jardin de ses grands-parents. Autant de lieux qui semblaient incarner les reliquats d’une jeunesse presque ordinaire.
Douche froide
A Roubaix, au prononcé de son nom, un malaise est toutefois apparu. « Mourad ? On l’avait tous noté mort… », a lâché d’emblée un ancien proche du garçon, dans un bar PMU du centre-ville. « En Syrie, qu’il y reste ! », a éructé un autre, attablé à un restaurant Quick.
Dans Le Monde, Mourad avait témoigné anonymement. Mais il a vite été démasqué par tout ce que le microcosme roubaisien compte de familles confrontées au départ d’un parent pour le djihad. Des mères et des frères rompus à la chasse ingrate aux « preuves de vie ». Où chacun cherche un fils, une sœur, avec la hantise inavouable que la bonne nouvelle survienne d’abord sur le compte WhatsApp d’à côté.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Mourad, entraîné à 12 ans par ses parents dans le « califat » de l’EI, oublié par la France dans une prison du Nord-Est syrien
Chez ces écorchés, l’information de la survie de Mourad a eu l’effet d’une douche froide. L’adolescent n’avait que 12 ans quand il a quitté Roubaix. Mais son prénom a toujours été indirectement adossé à un patronyme envahissant : Tahar Aouidate. Presque un « clan », des « tordus », disent certains. Une famille dont vingt-trois membres sont partis en Syrie sur la seule année 2014. L’équivalent de près d’un tiers des 80 départs de l’agglomération lilloise pour la période 2012-2016, selon un décompte de La Voix du Nord. Presque un record national.
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