La proposition de loi “Avia”, destinée à renforcer la lutte contre la haine sur la Toile, connaît de nouvelles turbulences. Réunis en commission mixte paritaire, les députés et les sénateurs ont échoué ce mercredi à trouver un compromis pour permettre au texte – qui vise à lutter contre les contenus haineux sur Internet en contraignant notamment les plateformes et les réseaux sociaux à supprimer des contenus litigieux – d’être adopté.
Les discussions ont achoppé sur l’une des mesures les plus controversées du texte, à savoir la mise en place d’un délit de “non-retrait” des contenus signalés comme “manifestement illicites” : une catégorie qui regroupe des contenus appelant à la haine ou à la violence, ou encore des insultes à caractère raciste ou religieux. S’il est fortement soutenu par les députés de la majorité, la mise en place de ce délit – qui contraint les plateformes et moteurs de recherche à retirer ces contenus sous 24 heures, sous peine d’être condamnés à des amendes allant jusqu’à 1,25 million d’euros – fait l’objet d’une fronde de la part des sénateurs. Ces derniers craignent en effet que les plateformes ne fassent du zèle pour éviter tout risque d’amende, au risque d’une censure renforcée sur la Toile.
« Notre principale divergence avec les députés concerne l’article 1er [du texte présenté], qui crée un délit de “non retrait” en 24 heures des contenus haineux. Ce dispositif est juridiquement inabouti, contraire au droit européen et déséquilibré, au détriment de la liberté d’expression », a fait savoir le sénateur Christophe-André Frassa, rapporteur du texte au Sénat, dans un communiqué de presse diffusé ce jeudi.
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Une « occasion manquée » pour la députée Laetitia Avia
« Nous partageons l’objectif poursuivi par ce texte, lutter contre la diffusion de contenus haineux et illicites sur Internet », a pourtant fait savoir Philippe Bas, le président de la commission des lois du Sénat, qui reconnaît pourtant des désaccords sur la forme avec les députés de la majorité. « C’est sur la manière de répondre au problème, sur les solutions concrètes, que nos approches divergent », a expliqué ce dernier, qui tient à « tenir la ligne de crête entre, d’une part, la protection des victimes de haine et, d’autre part, la protection de la liberté d’expression telle qu’elle est pratiquée dans notre pays ».
Interrogée par l’AFP, la députée LREM de Paris Laetitia Avia, à l’origine de la proposition de loi, a déploré un échec « regrettable », doublé d’un « gâchis ». Pour elle, la fin de non-recevoir transmise par les sénateurs s’impose comme une « occasion manquée de porter un message de fermeté vis-à-vis des plateformes et de soutien aux victimes ». Sur Twitter, le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, a regretté que des « considérations purement politiciennes l’aient emporté sur la recherche d’une solution au fléau de la haine en ligne ».
Reste qu’il ne s’agit pas d’un coup fatal pour la proposition de loi, qui avait été largement adopté par l’Assemblée nationale en juillet dernier avant d’être modifiée en décembre dernier par les sénateurs. Ces derniers avaient supprimé sa mesure phare, ce fameux délit de “non-retrait” qui cristallise les tensions entre les deux chambres.
Rappelons que les sénateurs ne sont pas les seuls à s’être opposés à cette mesure, qui a fait l’objet de nombreuses critiques de la part notamment de la Quadrature du Net, ou encore du Conseil national du numérique. Après l’échec de l’adoption d’un compromis devant cette commission mixte paritaire, la navette parlementaire devrait continuer pour le texte, qui sera représenté le 20 janvier devant les députés avant de retourner au Sénat le 30 janvier prochain, puis d’être finalement adopté ou non par l’Assemblée nationale à une date ultérieure.
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