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“Libérez votre parole, monsieur Preynat !” : jugé à Lyon, l’ancien prêtre pédophil

Plusieurs anciens scouts qui accusent Bernard Preynat d’agressions sexuelles ont été entendus au premier jour des débats, mardi. Si le prévenu a reconnu la majorité des faits, l’authenticité de ses remords pose question.

La barre du tribunal se dresse entre eux. D’un côté, les victimes de Bernard Preynat, assises en rang les unes derrière les autres. De l’autre, leur ancien chef scout, posé sur une chaise à l’écart. Quelques mètres les séparent et c’est pourtant un fossé, creusé depuis trente ans, qui se dessine au milieu du tribunal correctionnel de Lyon. Reporté d’un jour en raison de la grève des avocats contre la réforme des retraites, le procès de l’ancien vicaire, devenu le visage de la pédophilie dans l’Eglise catholique française, a enfin pu s’ouvrir mardi 14 janvier. Sur les dix plaignants, pour lesquels les faits d’agressions sexuelles sur mineurs ne sont pas prescrits, neuf ont pris place sur les bancs des parties civiles pour confronter leur version à celle de leur ex-“gourou”.

Les enfants de la paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) ont grandi. L’homme, lui, a vieilli. Le “gueulard” à “l’autorité naturelle” a le “souffle coupé” par une opération au cœur, qui lui a laissé une voix fluette et chevrotante. A 75 ans, le curé défroqué – il a été réduit à l’état laïc en juillet 2019 – a perdu de son aura aux yeux de ses anciennes ouailles. “Je n’ai plus d’emprise, je me libère de ça”, lui lance sans un regard Pierre-Emmanuel Germain-Thill, en déposant son foulard de scout devant lui. Le quadragénaire revient pourtant de loin : “C’était la mort que je ressentais à chaque fois que ma mère me déposait là-bas.”

“Là-bas”, c’est l’église Saint-Luc, où cet ancien louveteau a passé de nombreux week-ends entre début 1989 et fin 1990. Pour d’autres de ses camarades, c’était la tente du père Preynat, lors des camps en Normandie ou en Irlande. Ou bien le fond du bus, “la nuit, lorsque les lumières étaient éteintes”. Les agressions sexuelles qu’ils racontent à la barre – des attouchements sur le corps, les fesses, le sexe, des masturbations, des baisers sur la bouche avec la langue – deviennent, dans les mots du prévenu, “des câlins, des caresses, de la tendresse”.

Je le faisais sans violence. Pour moi, c’étaient des gestes de tendresse dans lesquels je trouvais évidemment un certain plaisir.Bernard Preynatdevant le tribunal correctionnel de Lyon

Le septuagénaire rechigne à prononcer le terme d'”agressions sexuelles”, qui l’expose à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. Aujourd’hui, il préfère reconnaître la gravité de ses “actes”. “A l’époque, je savais qu’ils étaient interdits, condamnables, mais je ne pensais pas aux conséquences qu’ils pouvaient avoir sur mes victimes.” Elles non plus. “Un enfant de 10 ans, il ne sait pas ce qu’il vit, ne comprend pas ce qu’il se passe, je n’ai même pas eu le réflexe de me dire que ce que j’avais vécu était mal”, témoigne François Devaux, cofondateur de l’association La Parole libérée. Son corps, lui, se rappelle encore cette “étreinte très forte” : “Mes lunettes [que le curé avait pris soin de retirer] n’y auraient pas résisté, je me souviens des fibres de sa chemise, j’avais l’œil dessus. Je me souviens de m’être demandé si j’allais pouvoir continuer à respirer.“

“A défaut de la comprendre, la violence, on la ressent profondément”, appuie Jean Boudot, avocat d’un autre plaignant, Matthieu F., qui a gardé en mémoire cette sensation de “tétanie” pendant les agressions du père Preynat. Ce sentiment de disparaître, étouffé contre le gros ventre du curé, avalé par ses appétits pervers insatiables, a laissé des traces indélébiles chez chacun de ces hommes, notamment sur le plan sexuel et sentimental. Et ils seraient bien plus de dix à pouvoir en témoigner, si le silence n’avait pas perduré aussi longtemps.

Les confessions à la barre du prévenu au dos voûté, qui a troqué sa soutane contre un costume noir, donnent la mesure de l’étendue des dégâts. Se souvient-il du nombre d’enfants “caressés” en vingt ans ? euphémise la présidente. “Ça arrivait presque tous les week-ends oui, un ou deux enfants.” Et dans les camps ? “Quatre ou cinq enfants” pendant une semaine, admet-il. Mais voilà, le curé sait choisir ses victimes, des petits garçons fragiles, timides, en quête d’un substitut paternel. Pierre-Emmanuel Germain-Thill ne voit plus son père, Matthieu F. a perdu le sien. Pour leurs mères, à l’époque, la religion est un refuge et la figure du prêtre intouchable.

“Pour mon client, vous étiez le représentant de Dieu. En avez-vous conscience ?” tempête Emmanuelle Haziza, avocate de la partie civile. “Non, je n’ai jamais eu cette prétention. Par contre, c’est vrai que j’avais une grande responsabilité envers les enfants comme prêtre”, marmonne l’intéressé dans sa barbe blanche. “Pierre-Emmanuel Germain-Thill, c’est le procès de sa vie, il a libéré sa parole, je vous demanderai d’en faire pareil. Libérez votre parole, monsieur Preynat !“ insiste l’avocate. En vain. Si l’ancien prêtre reconnaît les faits et son attirance pour les petits garçons, comme il l’a toujours fait depuis qu’il est confronté à ses actes, et ce dès l’âge de 16-17 ans, il semble peiner à en ressentir de la culpabilité.

Il “demande pardon”, “regrette”, répète qu’il n’avait “pas mesuré la gravité ni les conséquences de ses actes” sur ces enfants devenus adultes. Mais de l’avis de l’avocat Jean Boudot, le tribunal assiste là à la “verbalisation d’une culpabilité un peu abstraite”. Son client, Matthieu F., n’est “pas vraiment soulagé” par cette première rencontre avec le père Preynat depuis les faits, n’ayant pas été confronté avec lui pendant la procédure.

C’est vrai qu’on sent une quasi absence d’émotion qui est perturbante.Matthieu F., partie civiledevant le tribunal correctionnel de Lyon

“Je ne suis pas d’un tempérament qui exprime facilement ses sentiments. Mais ce ne sont pas que des mots, je suis bouleversé dans mon cœur par ce qu’il vient de dire”, assure celui qui dément néanmoins avoir avoir “mis la main dans le slip” de Matthieu F. “Ça me paraît être un détail”, rétorque ce dernier, au regard des dizaines d’assauts qu’il dit avoir subis pendant deux ans de la part du père Preynat.

Face aux déclarations de ses anciens “préférés”, l’intéressé pinaille, minimise. “Je n’employais pas le terme ‘préféré’ ni ‘chouchou'”, soutient-il. Ou encore : “Les baisers sur la bouche avec la langue, ce n’était pas mon habitude. Ma manie, c’était plutôt des baisers sur les yeux et les sourcils.” Quant à l’authenticité de ses remords, l’ancien curé prend pour preuve “le combat contre lui-même” qu’il a mené depuis 1991 pour ne pas recommencer. “Je vous accorde que nous n’avons pas eu de faits révélés depuis” cette date, concède la procureure.

Si son sentiment de culpabilité ne transpire pas à l’audience, celui de ses victimes est encore bien réel. Benoît R. confie s’être puni longtemps en faisant des choix de vie qui n’étaient pas les bons. Aujourd’hui sans enfant, il pense que cette situation est liée à ce que le père Preynat lui “a fait subir”. Mais son “pardon”, il le lui “avait déjà accordé avant de le voir”. “Je ne suis pas dans la colère ou un esprit de vengeance”, dit-il. De ce procès, il attend que ce soit “une étape de plus dans [son] trajet, dans [son] chemin”. Les débats doivent se poursuivre jusqu’à vendredi.A lire aussi Sujets associés

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