Les entreprises s’adonnent de plus en plus à l’open innovation, mais sont-elles prêtes aussi à ouvrir leurs données ? Ne risquent-elles pas alors d’offrir à des tiers l’opportunité d’accéder « à la montagne d’or » sur lesquelles elles sont assises ? Le Grand débat de la donnée posait certaines de ces questions en 2018.
Des entreprises renoncent peu à peu aux lignes Maginot. L’évolution est cependant contrôlée et parfois aussi contrainte. Peu probable ainsi qu’en matière d’open data, le privé s’aligne de sitôt sur le public. Ce n’est d’ailleurs pas la trajectoire suivie à ce jour.
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La donnée propriétaire, une barrière à l’entrée « totalement tombée »
« Le secteur privé reste beaucoup plus frileux. Il y a encore peu d’initiatives d’ouverture des données » observe Jennifer Baert, en charge de l’information et de l’analyse crédit pour l’assureur Euler Hermes.
Ainsi, dans le domaine de l’assurance-crédit, où évolue l’entreprise, les moteurs des prémisses de l’open data sont d’abord business. « C’est plus une conséquence d’un changement de paradigme », et même un « bouleversement », dans l’accès aux données, souligne l’experte.
Dans l’assurance-crédit, « l’information était traditionnellement une barrière à l’entrée et les données étaient propriétaires. On a observé ces dernières années, un bouleversement du paysage de la donnée sur les entreprises » poursuit-elle.
De nouvelles données susceptibles d’enrichir les modèles prédictifs des assureurs
Les données classiques sur les sociétés, nécessaires aux les assureurs pour établir leurs analyses crédit, sont marquées par une ouverture croissante. Dans certains pays, des informations comme la date de création et les comportements de paiement, sont dorénavant des données ouvertes. La barrière à l’entrée est dès lors « totalement tombée. »
Dans le même temps, sont apparues de nouvelles données susceptibles d’enrichir les modèles prédictifs des assureurs. « Ce bouleversement total nous a amené à changer notre manière de concevoir la donnée » explique Jennifer Baert.
Pour prendre leurs décisions, mais aussi rester compétitives, les entreprises ne peuvent plus s’appuyer uniquement sur des données propriétaires. Elles doivent aussi identifier d’autres sources pertinentes. Et parfois aussi favoriser leur partage.
L’analyse de solvabilité basée sur de nouvelles sources de données
Dans ce domaine, Euler Hermes a donc constitué un véritable réseau afin de « sourcer la donnée et sourcer des jeux d’open data pour enrichir nos modèles et les rendre les plus prédictifs possible. » Pour mener la « chasse », l’assureur forme ses analystes-crédit à rechercher ces données nouvelles.
Une illustration de ce bouleversement ? « Pour analyser un restaurant, nous avions accès aux comptes publiés au mieux deux à trois ans auparavant. Aujourd’hui, l’analyse de la solvabilité se base aussi, notamment, sur les avis Tripadvisor et les jeux d’open data des inspections sanitaires en France. Ce sont des données plus fraiches et qui nous permettent d’améliorer nos propres données » détaille la responsable.
Et elle prévient, ce mouvement ne fera que s’amplifier et s’accélérer. La prédiction de la solvabilité des chaînes de supermarché s’appuiera dans un avenir proche sur des images satellite, riches en information sur le taux d’occupation des parkings.
L’assureur-crédit se montre toutefois dans cette démarche, a priori, plus consommateur que fournisseur de données. Il a néanmoins pris quelques initiatives pour encourager d’autres acteurs à lever les barrières sur l’accès à la donnée. Mais toujours de manière calculée.
Pas d’open data pur, mais un partage à dimension variable
« Toutes les entreprises veulent être data-driven, mais toutes ne sont pas prêtes à ouvrir leurs données parce qu’on a du mal encore à fournir une proposition de valeur concrète. Elles ne voient pas ce qu’elles ont à y gagner » reconnaît Jennifer Baert.
La tendance est donc à une ouverture maîtrisée et, par conséquent, à une adaptation dans le secteur privé du concept d’open data. « Dans le domaine économique et financier, toutes les données ne se prêtent pas à l’open data tel qu’on peut le concevoir sur un portail public. »
La solution qui se dessine est donc un partage opportuniste et limité à des participants bien identifiés. « Il faut envisager des partages de données à dimension variable entre des acteurs différents », mais gravitant autour des mêmes entreprises.
Se rapprocher de la titrisation et de l’affacturage
L’assurance-crédit peut ainsi se rapprocher de sociétés de la titrisation et de l’affacturage. Une mise en commun de certains jeux de données pourrait être source d’un « bénéfice pour tous les acteurs ». Mais il faut parfois faire le premier geste, à l’image d’Euler Hermes, pour desserrer l’étau.
Deux ans plus tôt, l’entreprise a ainsi ouvert un portail. Celui-ci met à disposition des jeux de données sur les flux commerciaux capturés par l’assureur dans le monde et sur les incidents de paiement relatifs à ces flux.
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