Correspondant à Pékin
«L’Histoire n’attend personne! Afin de réaliser le rêve chinois, nous devons courir contre la montre.» Sous les ors staliniens de l’immense hall du peuple, le président Xi Jinping a appelé le régime à presser le pas pour réaliser sa vision «du grand renouveau de la nation» jeudi à Pékin, à l’occasion de la réception célébrant la nouvelle année du Rat. À une encablure du mausolée où repose le corps embaumé de Mao, sur la place Tiananmen, l’impérieux dirigeant n’a pas fait une seule allusion à l’épidémie du virus qui se répand à travers l’empire du Milieu, et donne des cauchemars à sa population. Le mystérieux coronavirus 2019-nCoV a déjà fait 26 victimes, infectant 881 personnes, et fait trembler la planète, mais «l’empereur rouge» garde le cap sur son projet nationaliste, sa marque de fabrique.
Au même moment, le journal de la télévision d’État CCTV mentionne brièvement le sujet, en cinquième position, après vingt minutes de reportages lénifiants sur les derniers faits et gestes du secrétaire général du Parti communiste, et les festivités du Nouvel An. Circulez, il n’y a rien à voir! Fidèle à ses habitudes, la propagande fait diversion, lorsqu’une mauvaise nouvelle surgit. Déjà en novembre, la presse officielle avait ignoré la gifle infligée par les électeurs démocrates de Hongkong aux élections locales, tout comme la réélection triomphale de la présidente Tsai Ing-wen à Taïwan sur un programme de résistance à Pékin.
Une épreuve politique
Ce détachement camoufle la nervosité du dirigeant à l’orée de l’année du Rat qui marque le début du cycle de l’astrologie chinoise, augurant d’un «nouveau départ» selon Xi. Cette épidémie représente une épreuve politique sans précédent pour celui qui impose une reprise en main autoritaire implacable sur la deuxième puissance mondiale depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Elle tombe au plus mauvais moment à l’heure de l’immense migration de centaines de millions de Chinois, à l’occasion des vacances, menaçant d’accélérer la diffusion du virus.
Xi Jinping avait espéré un moment de répit en 2020, après dix-huit mois d’épreuve sur le front international et économique. Il venait de conclure une fragile trêve commerciale avec Donald Trump, le 15 janvier, enrayant momentanément l’escalade périlleuse avec Washington. Les coups de boutoir du président américain avaient pris de court «l’oncle Xi», et la guerre commerciale plombait encore un peu plus la confiance des investisseurs et classes moyennes, échaudés par le ralentissement structurel du géant renaissant, déjà vieux avant d’être riche. Le virus qui a émergé à Wuhan menace de porter un coup supplémentaire à la croissance chinoise déjà en berne.
La censure défiée
La maladie pose au régime un défi bien plus périlleux que les démocrates de Hongkong et Taïwan, ou les diatribes de l’imprévisible Trump. Car cette fois, l’origine de la crise est bien chinoise, et il n’est plus possible de recourir à la carte nationaliste pour dénoncer les «forces hostiles» étrangères, comme l’a fait Pékin à répétition ces dernières années. Le discours idéologique blâmant à tout bout de champ l’Occident, attisant la flamme patriotique en rappelant les humiliations de l’époque de la guerre de l’opium, ne suffit plus face à une population anxieuse, qui craint pour sa santé. Difficile de faire croire que la CIA est derrière l’épidémie à une opinion qui s’interroge ouvertement sur la véracité des chiffres officiels, et la réponse jugée trop tardive des autorités.
Si une majorité des 1,3 milliard de Chinois, privés d’information libre, continue de faire confiance au gouvernement, la presse libérale se rebiffe et défie les lignes rouges de la censure à l’occasion de la crise. Le magazine Caixin affirme que le nombre de malades est de 6000, près de dix fois plus que les chiffres officiels. Le journal Beijing News ose exiger des explications sur la lenteur de la réaction des autorités, et les rumeurs macabres circulent à la vitesse de l’éclair sur WeChat, la messagerie qui compte un milliard d’utilisateurs.
La crise met à l’épreuve le modèle autoritaire et pyramidal imposé sans merci par le «leader du peuple». En centralisant tous les pouvoirs, rompant avec le leadership plus collégial de l’ère Deng Xiaoping, Xi s’expose à être jugé le premier responsable du désastre. Le virus dévoile le revers de la médaille d’un système ultra-hiérarchique, qui inhibe l’esprit d’initiative des fonctionnaires locaux. Il teste la capacité de réaction d’un appareil tétanisé par la reprise en main idéologique, et une implacable campagne anticorruption qui a condamné plus de 100.000 cadres, souvent chevronnés. Alors que le Parti réaffirme son rôle dirigeant sur la société, les officiels hésitent à remonter les mauvaises nouvelles. «La place pour le débat interne s’est réduite comme peau de chagrin», juge un chercheur d’une grande université pékinoise, qui préfère garder l’anonymat, dans un climat d’autocensure.
Le combat est lancé
En fin politique, Xi Jinping le populiste a senti le danger, et déjà lancé la contre-attaque. Lundi, il sort de son silence en visite à Yunnan, sonnant la «mobilisation de toutes les forces», faisant de la protection «de la santé et des vies» une priorité. Cela ne va pas de soi, comme le rappelle l’histoire sanglante de la République populaire. Un tournant dans la crise. Aussitôt, les officiels au garde-à-vous osent dévoiler l’ampleur de l’épidémie. Partout, à travers le pays le plus peuplé du monde, le branle-bas de combat est lancé pour prévenir une pandémie, sous pression internationale, décrétant même le blocus de Wuhan, grande comme l’Île-de-France. Pékin veut éviter à tout prix une «déclaration d’urgence de santé publique internationale» (USPPI) de l’OMS, que Genève a réservé aux cas les plus graves, comme Ebola. Ce stigmate sonnerait mal pour le rêve de renaissance nationaliste de Xi, un an avant le centenaire du Parti communiste.
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Pour sauver la face, le dirigeant madré aura recours à la méthode éprouvée par les empereurs depuis des siècles: blâmer les officiels subalternes. Cette stratégie populiste lui a offert jusqu’ici une solide popularité, mais nourrit le ressentiment des élites. La gestion de la crise du virus s’annonce cruciale pour la postérité politique de ce «prince rouge», qui a opportunément modifié la constitution en 2018, pour envisager un règne à vie. Un enrayement rapide de l’épidémie permettrait à Xi d’assurer sa mainmise absolue. Mais une crise longue, et son cortège de cadavres, risque d’écorner durablement son image, sous le regard de ses rivaux politiques, tapis en embuscade. «Pour tuer un rat, il faut casser beaucoup d’assiettes», rapporte un proverbe chinois cité par l’historien Zhang Lifan. La nouvelle année pourrait faire des dégâts dans l’opaque cuisine de la Chine rouge.
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