«J’aurais préféré mourir plutôt que d’assister à un tel accident». Il n’est pas certain que ces paroles du général de brigade Amirali Hajizadeh, commandant de la branche aérospatiale des Gardiens de la Révolution – l’armée idéologique de l’Iran – suffisent à ramener le calme, un jour après que l’Iran a reconnu avoir abattu, par erreur, un Boeing 737 de la compagnie Ukrainian Airlines International (UAI), qui assurait le vol PS752 et venait de décoller de Téhéran, avec 176 personnes à bord, toutes décédées.
Cet incident militaire tragique est intervenu mercredi 8 janvier, en pleine crise entre l’Iran et les Etats-Unis. Le même jour, Téhéran a tiré une vingtaine de missiles balistiques contre deux bases américaines en Irak pour venger la mort du très puissant général Souleimani, éliminé par une frappe de drones américaine, sur ordre de Donald Trump. Samedi, le chef de la diplomatie iranienne a avoué une «erreur humaine» mais a aussi reporté la faute sur «l’aventurisme américain qui a mené au désastre». Mais que s’est-il passé exactement ?
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Plus tard dans la journée de samedi, le général Hajizadeh a fait son mea culpa et a donné quelques explications sur la façon dont le drame avait pu se produire, endossant «la responsabilité totale» de celui-ci. «La nuit de l’accident (…) l’état d’alerte était au niveau guerre», a-t-il expliqué. Le soldat chargé de tirer a pris l’avion pour un «missile de croisière», a dit le général. Il a alors cherché à contacter ses supérieurs pour «obtenir une vérification» de la cible mais il n’a pu le faire car son système de communications a «apparemment été perturbé». «Il avait 10 secondes» pour décider et il «a pris la mauvaise décision», a-t-il ajouté. Le missile a explosé près de l’appareil. Selon l’état-major, «le coupable» doit être traduit «immédiatement» en justice.
«Cible hostile»
Auparavant, dans un communiqué, les forces armées avaient expliqué succinctement que l’appareil avait été pris pour une «cible hostile» et qu’il volait à proximité d’un site sensible des Gardiens de la Révolution à un moment d’alerte maximale. L’Ukraine a de son côté déclaré que le vol suivait sa trajectoire prévue initialement, ce qu’a d’ailleurs confirmé l’Organisation de l’Aviation civile iranienne, rapporte Reuters.
Des experts ont évoqué plusieurs raisons qui auraient pu conduire au drame. Selon CNN, la batterie anti-aérienne qui a abattu l’avion ukrainien était un système russe Tor-M1 (SA-15 Gauntlet dans le vocabulaire de l’OTAN) que les Iraniens ont acheté à Moscou en 2005 pour environ 700 millions de dollars. Ce système de courte portée (12 km) mis en service en 1986 est spécialisé dans l’interception de missiles de croisière et de drones, raison pour laquelle les Russes l’utilisent par exemple en Syrie pour protéger leur base aérienne d’Hmeimim régulièrement attaquée par des drones-suicide.
De nombreux précédents
«L’une des questions est celle de savoir si l’Iran dispose d’un système de commandement et de contrôle qui permette aux différents systèmes antiaériens d’échanger des informations entre eux ou si, au contraire, le Tor-M1 a fonctionné de façon indépendante», explique sur Twitter Rob Lee, doctorant en War Studies au King’s College London. «L’Iran était probablement très préoccupé par le fait qu’une seule frappe aérienne américaine pourrait détruire une grande partie de ses moyens de défense aérienne. Il les a donc probablement dispersés (ce qui a pu avoir pour conséquence de déléguer la décision de lancement à des officiers de niveau inférieur) et a gardé bon nombre de ses radars éteints», souligne le spécialiste des matériels militaires russes.
Le Tor-M1 possède son propre «radar d’acquisition», ce qui lui permet de fonctionner en toute autonomie, mais celui-ci ne dispose que d’une faible portée, ce qui exige de décider en quelques minutes, voire secondes, si l’on tire, ou non, sur une cible identifiée. Dans l’idéal, ces systèmes doivent donc fonctionner en réseau, avec d’autres systèmes anti-aériens plus puissants qui forment, ensemble, un système dit «multi-couches». «Il semble qu’il y ait un manque d’intégration des défenses anti-aériennes iraniennes», conclut Rob Lee sur Twitter.
Autant de facteurs qui pourraient expliquer tragiquement que l’Iran ait ainsi tiré un missile contre le Boeing 737. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer de prime abord, de tels drames ont eu lieu de nombreuses fois dans l’histoire de ces dernières décennies, y compris dans cette région. Le 3 juillet 1988, tirant deux missiles, le croiseur américain USS Vincennes a abattu dans le détroit d’Ormuz un Airbus A-300 d’Iran Air, causant la mort de 290 personnes. Washington déclarait alors avoir confondu l’avion civil avec un chasseur iranien.
Un autre cas, plus récent, est celui du vol MH17 de la Malaysian Airlines, abattu dans l’est de l’Ukraine, où s’affrontent forces ukrainiennes et rebelles autonomistes soutenus par Moscou. En mai 2018, les enquêteurs internationaux ont établi que le Boeing 777 avait été abattu par un missile BUK de conception soviétique, en provenance de la 53e brigade antiaérienne russe basée à Koursk, dans le sud-ouest de la Russie. Jusqu’à maintenant, Moscou a toujours nié être à l’origine du drame. Un silence qui entoure encore plusieurs disparitions d’avions civils. En 1968, la Caravelle Ajaccio-Nice d’Air France assurant le vol 1611 s’abîme en mer Méditerranée. Depuis, l’hypothèse d’un tir de missile anti-aérien est régulièrement invoquée. Suite à plusieurs plaintes contre le ministère des Armées, le président de la République, Emmanuel Macron, a décidé, le 10 septembre 2019, de lever le secret-défense concernant des documents classifiés liés à ce drame.
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