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Gouverner les nouvelles infrastructures numériques des villes et métropoles

Au pays de la résistance et de la contestation, pour un oui ou pour un non, le numérique ne fait pas exception.

En 2013, il aura suffit d’un bonnet rouge et d’un drapeau breton pour mettre par terre une infrastructure moderne de portiques de suivi des flux poids lourds sur autoroute et son centre de traitement des données.


Cette infrastructure réalisée et livrée, ne demandait qu’a être “programmé” par le politique, que ce soit pour appliquer cette fameuse écotaxe qui faisait débat ou au contraire attribuer une subvention carburant aux transporteurs bretons. Dans les deux cas il y a besoin de traquer les poids lourds et leur usage de l’autoroute, pour faire un calcul et agir.

L’infrastructure technologique est donc neutre, c’est ce que l’on en fait qui ne l’est pas.

L’exemple d’Enedis avec Linky est aussi instructif sur cette faiblesse de l’accompagnement des changements quand on est un opérateur d’infrastructure national, qui aurait pu oublier de demander à ses clients sur le territoire, individuels ou en collectivités, ce qu’ils pensent de l’évolution du réseau électrique à l’heure du smart grid.

Car dans cette opposition récurrente contre Linky, personne ne pourra soutenir longtemps que sa facture a été multiplié par 5 (mais plutôt qu’avant il ne payait pas le bon tarif, compteur bloqué voire trafiqué), ni que son compteur a pris feu à cause de Linky (cela arrivait déjà avant et dépend bien sûr de son installation). Quand on regarde la liste des griefs reprochés à l’objet Linky connecté, seul le sujet de l’électrosensibilité est discutable, car peu d’études ou de retour d’expérience existent. C’est justement pour cela qu’Enedis doit de se rapprocher de ses clients et de la collectivité pour en parler.

Pourtant, une infrastructure de “smart grid” moderne est un pré-requis vers les énergies renouvelables décentralisées et des services de maîtrise d’énergie pour les usagers. Linky devrait donc plutôt baisser les consommations de ceux qui vont se connecter à leur espace client, pour comprendre la suivre au jour le jour, et non comme avant quelques fois par an à la réception de la facture non détaillée, quand c’est trop tard pour rectifier son usage.

En France, avec souvent beaucoup de mauvaise foi, on aime bien confondre l’infrastructure, qui est neutre, avec ses usages, qui eux sont politiques, au sens premier de l’organisation de la vie de la Cité.


Les métropoles, les villes et même les villages, devenus intelligents par le développement de la connectivité et des applications du numérique, risquent de se retrouver dans cet immobilisme bien français si on y prête pas attention.

Le développement d’infrastructures de “captation de données” sur l’espace public est pourtant amené à se développer, à l’instar du développement de la vidéoprotection, classique ou intelligente, ces dix dernières années.

Sur le site de la CNIL on apprends que le nombre de caméras sur la voie publique a fortement augmenté pour prévenir des actes de terrorisme, le trafic de drogue et des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés.

La police municipale est alors assermentée pour consulter ces vidéos dont le stockage et l’utilisation sont strictement encadrés. Mais les services de la collectivité peuvent également former et faire assermenter des agents non policiers.


Ceux qui sont opposés à cette surveillance affirment que la vidéosurveillance sur la voie publique ne produit rien et coûte cher. On peut cependant trouver des études sur l’amélioration de la perception de sécurité quand elles sont installées. D’ailleurs quand les citoyens s’organisent eux-même (comme avec “voisins vigilants”) chacun devient une “caméra” au service des autres – symbolisée par l’œil sur le logo – quitte à utiliser son smartphone personnel pour filmer en tout illégalité quand un incident survient…

On confond encore l’infrastructure de capture de vidéo sur l’espace public avec son usage, ici la surveillance ou la protection. D’ailleurs ce n’est pas le seul usage et de multiples autres usages sont possibles !

Les vidéos peuvent également identifier automatiquement des dépôts sauvages, des dégradations d’équipements, des voitures stationnées sur les pistes cyclables, voir des comportements vertueux comme de traverser sur un passage clouté. En mutualisant cette infrastructure au service de plusieurs usages, on répond aux opposants sur le volet financier puisqu’elles peuvent alors amener plus de bénéfices pour un coût identique.

Début 2019, dans un quartier de Saint-Etienne, ce n’est pas de la vidéo qui est en test, mais celui d’une infrastructure d’un nouveau genre à base de capteurs de sons. Des algorithmes analysent en temps réel l’environnement sonore pour catégoriser les bruits définis à l’avance (sans rien enregistrer ni pouvoir identifier l’émetteur du son). Des évènements d’alertes peuvent être envoyées aux personnels des centres de vidéo-surveillance pour une levée de doute et ainsi gagner du temps pour le déclenchement d’une intervention des services municipaux quand des bruits spécifiques sont entendus (collisions de voitures, bris de vitres,…).

Aux États-Unis ces équipement sont utilisés pour détecter des coups de feu, dans le contexte d’insécurité que l’on connait dans certaines villes.


En France cette expérimentation a été reçue plutôt froidement par la presse régionale, elle a été repoussée en attente d’un nouvel avis de la CNIL qui s’était déjà prononcée… Silence radio aussi à Lyon qui était engagé dans un projet équivalent. Pourtant le potentiel d’une telle infrastructure, comme pour la vidéosurveillance, dépasse la protection de l’espace public. Une expérience similaire a été engagée il y 5 ans dans le parc national des Calanques au large de Marseille, pour écouter, détecter les signatures et mesurer la vie sous-marine (bioclics, vocalises,…) et les nuisances humaines antropophonique (hors bords, …). La mesure de la reconquête de la biodiversité de cet espace protégé, sous forte contrainte humaine, est à ce prix.

Que ce soit pour mesurer les nuisances ou la biodiversité sous-marine, l’infrastructure de détection de bruit est neutre. Elle est entrainée à reconnaître les bruits que l’on souhaite. S’opposer à ce type d”infrastructure c’est s’opposer autant a des usages qui pourraient devenir discutables que d’autres usages très bénéfiques. Bien sûr une fois en place il faudra gouverner ces usages.

On pourrait multiplier les exemples de ces nouvelles infrastructures qui vont se développer, comme la mesure en continue de la qualité de l’air ou des odeurs, et qui vont permettre à la ville de développer une plus grande résilience, mais également de contrevenir à des comportements individuels dangereux ou interdits.

Si on ne veut pas que ces infrastructures rencontrent les mêmes difficultés que les portiques écotaxes, et autres objets technologiques sacrifiées pour acheter la tranquillité, il va falloir que les collectivités s’emparent de la gouvernance de ces infrastructures.

Elles vont devoir expliquer leur fonctionnement et leurs limites pour équilibrer l’information au public avec la démagogie et les “fake news” qui fleuriront. Elles vont ensuite devoir définir les usages souhaités sur le territoire, en s’appuyant sur une participation citoyenne large, pour ensuite laisser les projets privés ou public-privé, se développer. Pour cela elle vont devoir “rentrer dans le dur” et aborder des sujets techniques comme : les données personnelles, le big data, le rôle des algorithmes, la mise en œuvre du RGPD – pour de vrai ! – dans la collectivité, la transformation digitale de cette collectivité au sein de cette ville plus intelligente, …

Les élections municipales de 2020 arrivent et sont certainement l’occasion pour les élus de projeter leur mandature dans ce futur numérique pour mieux le préparer et accompagner le changement. Ne parlons plus de NTIC, elles sont là. Maintenant parlons d’usages et de gouvernance.

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