C’est fait ! Cette semaine Disney+ a été lancé aux États-Unis, Canada et Pays-bas, par la Walt Disney Company. C’est une plateforme de vidéo à la demande qui promet d’accéder à l’impressionnant catalogue du premier groupe de divertissement au Monde après ses multiples acquisitions (ABC-cable, Fox, Pixar, Marvel, Lucas Film, …).
C’est en 2017 que le DG Bob Iger a annoncé cette nouvelle orientation stratégique avec le lancement prévu en 2019 d’un service de vidéo à la demande, concurrent de Netflix.
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Mais même en étant numéro un mondial, on ne s’improvise pas “streamer de contenu sur Internet”. C’est un sujet 100% technologique, très loin du fond de commerce du studio. On assiste donc bien là à une transformation digitale de grande ampleur pour la Walt Disney Company, plus encline jusqu’à présent à distiller son catalogue au compte goutte qu’a piloter une plateforme mondiale de diffusion massive.
En terme de modèle économique, Disney a également déjà tenté l’expérience de l’abonnement avec ESPN (chaînes de sport) mais n’a pas résisté à l’érosion progressive de ses abonnés. C’est donc un double challenge technologique et business modèle qui attend le groupe.
Netflix, la cible annoncée, est née dans la location de cassette distribuées par courrier, ce qui lui a donné l’expérience client de la VOD et des goûts des utilisateurs, puis a développé les 10 années suivantes une plateforme SVOD, reposant sur AWS, pour distribuer le contenu par Internet. Ayant sous-traité ses tuyaux, c’est devenu un producteur de contenu dont le catalogue est plus vaste que celui de Disney. Aujourd’hui, Netflix représente environ 23% du trafic de l’Internet – Google “seulement” 17% -, selon l’Arcep (étude 2019). C’est donc un travail qui prendra du temps à Disney pour accéder à une part de marché de 23% du trafic mondial de l’internet !
Mais comme la SVOD est en croissance, le sujet est moins de récupérer massivement les parts de marché de Netflix que de développer la SVOD plus loin avec de nouveaux utilisateurs et de nouveaux usages. Le blog “Digital Home Révolution” de Pascal Lechevalier est une référence sur ce sujet, notamment le dernier billet sur les perspectives du marché américain avant l’arrivée de Disney+.
Pour répondre à ce challenge, la Walt Disney Company a progressivement racheté la majorité dans la société technologique BAMTech (en tout au moins 3 milliards de dollars) pour faire l’acquisition de la compétence et des plateformes du streaming. Cette technologie a été conçue en 2016 pour la diffusion en streaming d’évènements sportifs à la demande. En Europe, BAMTech a comme premier client Eurosport. Notons que BAMTech est aussi une option pour Disney pour relancer son réseau ESPN avec une offre sports câble + à la demande.
Les estimations pour Disney+ avant le lancement étaient de 8 millions d’abonnés à fin 2019 alors que Disney+ en a revendiqué 10 millions dès les premières 24h. Donc sans surprise la force du catalogue mis en avant autour de Marvel, le prix agressif de $6,99 par mois et la sortie originale d’une série dans l’univers Star Wars (The Mandalorian) ont fait le job, comme on dit au Québec.
Mais les abonnements à la demande que l’on peut résilier presque quand on veut, font que le succès de Disney+ ne sera durablement assuré que si l’expérience des utilisateurs est bonne. Et sur ce point, Disney+ s’est pris de plein fouet les affres du digital :
le maintient de la performance technique de la plateforme avec la montée en charge,
la capacité du support utilisateur à être efficace pour traiter en ligne les problèmes des clients,
la sécurisation de ses activités qui, vu le buzz médiatique, vont également attirer les pirates.
Mais, mis à part les messages d’erreurs et de reconnaître avec un tweet un “couac” suite à l’afflux de plus d’utilisateurs qu’attendus, Disney+ n’a pas communiqué officiellement sur ces difficultés qui persistent. GreenSI est donc allé explorer les données factuelles des réseaux d’utilisateurs de ces quatre derniers jours pour essayer de tirer des enseignements sur cet apprentissage du digital par une société née en 1923.
Concernant les performances, un site de référence est downdetector. Disney+ y est en haut du hit parade des sites à problèmes depuis son lancement.
Par chance Netflix avait un problème samedi en Europe ce qui nous donne une base de référence. La comparaison du nombre d’incidents de samedi 16 novembre, proportionnellement au nombre de clients (10 millions versus 160 millions pour Netflix), montre que le niveau d’incident relatif par rapport à Netflix est 140 fois supérieur. Donc aucun doute sur une expérience de streaming dégradée vu des internautes.
Les problèmes sont à la fois la qualité du streaming (53%) et un problème de login (46%). GreenSI s’est même demandé si une régulation de l’accès à la demande (files d’attentes) n’avait pas été mise en place volontairement par Disney pour ne pas effondrer plus les performances du streaming perçues par les abonnés.
Dimanche au moment où j’écris Disney+ est toujours en haut du classement.
L’application mobile sortie avec l’ouverture du service et qui permet de télécharger les films et de les regarder sur son mobile a été téléchargée plus de 3 millions de fois en 24h selon le site Apptopia et 1,3 million d’heures de contenu ont été téléchargés dès le premier jour. Comparativement il est estimé que les utilisateurs de Netflix -16 fois plus nombreux – ont regardé 6 millions d’heures de contenu le même jour. L’usage de Disney+ sur mobile serait donc 3,5 fois celui de Netflix ?
Une hypothèse de GreenSI, les problèmes de connexions ne sont certainement pas étrangers à ce changement massif d’usage et une partie des utilisateurs se serait alors vraisemblablement déportés sur le mobile et auront téléchargé leur film.
Sur le plan du service client, Twitter reste la référence pour voir l’impact tel que perçu par les utilisateurs. Les hashtags #DisneyPlusDown, #DisneySucks et #DisneyPlusFail sont encore largement utilisés. Les utilisateurs se plaignent du service client difficile à joindre et des déconnections régulières du service, peut-être parfois à cause de leur propre installation, mais clairement Disney+ ne s’est pas préparé à traiter autant de demandes de clients qu’il a maintenant en direct.
Sur le plan du catalogue des films, Star Wars c’était pour la vitrine du lancement mais tout le monde attendait l’émission quasi-religieuse outre Atlantique: les Simpson! Disney+ avait annoncé mettre en ligne les 30 saisons d’épisodes, mais a certainement loupé que la majorité de ses clients digitaux regardait avec un téléviseur grand écran 16:9, alors que le format d’image initial de l’émission est de 4:3. Les images ont donc été étirées dans le flux et les fans sont maintenant vent debout contre Disney+. Mais la réaction de Disney a été immédiate qui a annoncé que ce sera rectifié en 2020.
Enfin les pirates informatiques sont aussi venus tester la nouvelle plateforme en récupérant des comptes d’utilisateurs Disney+, certainement imprudents avec leur mot de passe, et en les revendant sur le net de 3 à 11 dollars comme le révèle l’enquête de ZDNet aux États-Unis. Pour le malheureux utilisateur qui s’est fait prendre son compte sans le savoir, le résultat est le même: il est déconnecté de tous ses appareils par le pirate qui change son email et son mot de passe. A lui d’expliquer son problème au service client… s’il arrive à les joindre !
L’expérience utilisateur a été fortement secouée par ce lancement.
Porto Rico prévu le 12 novembre a été reporté d’une semaine et va se retrouver avec la prochaine vague : Nouvelle Zélande et l’Australie le 19 novembre. Une nouvelle semaine test arrive donc pour Disney+. Le digital est un nouveau métier qui s’apprend, mais il va falloir l’apprendre vite à la vue du calendrier de déploiement. On saura alors si la stratégie “big bang” de Bob Iger (“We’re going to launch big, and we’re going to launch hot) était la meilleur pour conduire ce changement.
En tout cas, bienvenue dans le monde digital !
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