La loi pour une République numérique a été promulguée le 7 octobre 2016. Elle visait à donner une longueur d’avance à la France dans le domaine du numérique, en favorisant une politique d’ouverture des données et des connaissances, et en adoptant une approche “progressiste” du numérique qui renforce le pouvoir d’agir et les droits des individus dans un monde numérique.
La loi conforte aussi le rôle de l’État et des collectivités locales pour ouvrir l’accès aux données les concernant (mobilité, environnement, alimentaire,…) afin de permettre à des entreprises, ou des administrations, de leur apporter une plus-value avec des services qui les réutilisent.
Trois ans plus tard, ces objectifs restent encore bien loin devant, notamment pour le volet open data avec le constat de données publiques encore peu ouvertes à des formats facilement réutilisables par tout un chacun. Dans un billet précédent, GreenSI s’était posé la question si l’open data ne s’essoufflait pas, tout en constatant une effervescence pour les échanges de données au sein d’écosystèmes fermés et les premières applications opérationnelles des villes intelligentes.
Mais compte tenu d’autres développements récents comme le RGPD ou celui des plateformes numériques qui valorisent les données et plus particulièrement de l’intelligence artificielle, on peut quand même se poser la question si ces objectifs sont encore d’actualité pour avoir une longueur d’avance dans le numérique.
Le ralentissement de la locomotive anglo-saxonne lancée en 2008, depuis le départ de l’administration Obama (Open Government Initiative) et l’enlisement du Royaume-Unis dans le Brexit, deux moteurs de la première heure, n’est certainement pas étranger à cet essoufflement français. L’Europe a aussi cherché à insuffler une nouvelle dynamique pour l’open data mais son projet majeur reste plus le RGPD que l’OGI. Enfin, les changements à la DINSIC (départ d’Henri Verdier) et le remplacement de Mounir Majoubi par Cédric O au secrétariat du numérique, n’ont certainement pas non plus facilité la continuité des projets.
Cette semaine, un collectif d’acteurs engagés de la première heure dans l’ouverture des données, publie une tribune dans les Echos pour dénoncer (et confirmer) ce ralentissement. Ils appellent à la mise en œuvre effective de l’ouverture dans certains secteurs (tous les décrets d’application ne sont pas encore signés) pour éviter de limiter les bienfaits de l’Open Data, au détriment des citoyens.
Pour montrer tout le potentiel économique de l’open data, GreenSI prends l’exemple des applications mobiles qui permettent d’évaluer la qualité nutritionnelle des produits. C’est un cas d’école du pouvoir des données ouvertes traité dans un billet de 2018 (La FoodTech propose de scanner pour mieux manger!).
Aujourd’hui un français sur six les utilises. Tout a commencé avec une base de données ouvertes, Open Food Facts, qui aurait pu être l’open data d’une administration en charge de contrôler les produits. Elle a été constitué par des citoyens engagés, mais le leader qui a su déclencher l’étincelle de l’adoption massive des français c’est Yuka, avec 11 millions d’utilisateurs en France en seulement deux ans.
Yuka a également ouvert la voie à de multiples concurrents qui cherchent à se différencier par les usages de ces données. Les derniers en date sont, la marque “C qui le patron” qui lance “C’est quoi ce produit ?” et l’association “60 millions de consommateurs“. Pourtant ces deux marques sont bien ancrées dans la transparence et la relation directe avec les consommateurs lors de leur achat, mais n’ont pas vu venir ou n’ont pas pensé au “scan mobile”. Elles ont été réveillées par l’innovation de Yuka !
Mais pour répondre à cette concurrence, Yuka a stoppé d’enrichir Open Food Facts avec ses propres retours de consommateurs via son application mobile, car elle alimente aussi ses concurrents.
Cette petite bataille qui s’organise autour de la donnée et les concurrents qui amènent également de nouvelles sources de données (supermarchés,
mesgouts.fr, toxicologie, …) démontrent que les données ont de la valeur pour ceux qui savent les exploiter.
Le partage de données au sein d’écosystèmes (produits alimentaires, qualité de l’environnement, agriculture, …) développe donc des externalités positives pour tous et stimule l’innovation et les nouveaux usages. Mais on voit que la valeur est dans celui qui a la capacité à avoir les données les plus complète et de qualité, quitte à les collecter avec son propre réseau d’ambassadeurs.
Enfin, force est de constater qu’en 3 ans de loi Lemaire et 10 ans d’open data, il y a encore peu d’exemples issus des données publiques des administrations ou des collectivités locales, aussi impactant que cette simple base de données nutritionnelle. L’association OpenDataFrance a d’ailleurs rassemblé sur son site les meilleurs réutilisations pour les partager largement et donner des idées aux autres. Les démarches efficaces reposent sur des données mises à jour régulièrement et disponibles à la demande. Finalement la question de l’ouverture est secondaire devant celle des moyens de production des données.
Mais pour les collectivités, souvent les plus actives et depuis longtemps pour l’ouverture des données, leur ancrage sur un territoire limite leur champ de collecte de données, ce qui réduit d’autant l’impact de leur ouverture. Ainsi, pour produire un “service national” disponible partout, il faut collecter les données de toutes les collectivités, ce qui n’est pas si simple. Et si on ne le fait pas la valeur de l’application qui les utilise en est proportionnellement réduite. Par exemple, en restant dans l’alimentaire, on peut citer les échanges de données des menus des cantines publiques ou privés utilisés par les applications scolaires ou dédiées. Ces échanges ne sont pas normalisées au niveau national et chaque application locale réinvente le fil à couper le beurre pour quelques milliers d’utilisateurs, quand à l’autre extrême un milliard de chinois utilisent la même application, Wechat. Il est peut-être temps de changer d’échelle !
Pour GreenSI l’open data doit être abordé plus stratégiquement et pas uniquement dans les lignes directrice d’une loi :
Plus que l’ouverture c’est la production de données publiques de qualité, et donc les moyens associés, qui produisent des externalités,
Les systèmes d’information doivent basculer vers des architectures orientées data pour aller vers des échanges sans rupture. Passer d’une logique de stock à une logique de flux.
La valorisation des données seule permettra évoluer vers des modèles durables, démontrés et éviter l’écueil du gaspillage d’argent public.
La tendance à l’ouverture des données est stimulée par l’économie des plateformes. L’open data doit s’inscrire dans cette approche qui est aussi stratégique pour le secteur public que le secteur privé.
Les entreprises agiles à croissance rapide opèrent des plateformes qui maîtrisent les échanges de données temps réel et en automatise les processus de relation avec leurs clients ou leurs fournisseurs. L’open data ne doit pas s’arrêter au contexte règlementaire d’ouverture, mais chercher à s’inscrire dans les premiers développements de ces nouveaux écosystèmes, par la qualité de sa production de données et le soucis de leur réutilisation. Deux angles morts de la loi. Et pourquoi pas une idée qui peut déranger: les fonctionnaires en charge de leur production, évalués sur les résultats de leur réutilisation ? La boucle serait bouclée.
Quand c’est une collectivité qui initie ces échanges, elle pourra ainsi stimuler le développement économique sur son territoire et mettre en cohérence l’open data avec sa politique numérique, de performance et de développement.
Les plateformes sont des modèles d’affaires dont le cœur réside dans la data. C’est pour cette raison qu’il faut rapidement passer de la logique réglementaire à celle de la création d’un écosystème au bénéfice de chacun, public comme privé. Dans le secteur public ces modèles permettent d’améliorer la performance et ne sont pas réservés au privé. C’est donc dans la perspective d’améliorer la circulation des informations au bénéfice de chacun dans l’écosystème, que s’imaginent les échanges de données sur les territoires, par exemple dans le cadre de l’économie circulaire structurellement transverse.
Enfin la valorisation des données est aussi une opportunité pour les collectivités pour financer leurs coûts de traitements, qui ne feront qu’augmenter. Car l’open data demande de maîtriser l’ouverture des systèmes d’information, la qualité de données ré-exploitées en externe par des non spécialistes, et parfois l’anonymisation imposée par le nouveau RGPD. Or on sait que la quantité de données nécessaires ou traitées augmente dans tous les domaines.
Avec le recul, on peut se demander si l’open data, au lieu d’être abordé par la loi, n’aurait pas du être abordé simplement comme la transformation digitale du secteur public.
Les acteurs publics constatent qu’ils ne peuvent se soustraire aux évolutions du numérique et de la société vers de nouveaux modèles. Ils ne peuvent non plus empêcher la collecte massive de données, y compris d’intérêt général, qui tôt ou tard seront rendues accessibles. L’open data est donc un fil rouge à suivre pour cette transformation et en être acteur sinon d’autres le feront à leur place. Mais cet open data ressemblera plus à une stratégie digitale publique, qu’aux obligations d’un loi.
Comments