Au lendemain du crash d’un Boeing ukrainien en Iran, de nombreuses questions restent en suspens. L’origine de la catastrophe ayant conduit à la mort des 176 passagers et membres d’équipage est l’objet de nombreuses spéculations, en plein contexte diplomatique tendu entre l’Iran et les Etats-Unis.
S’il est impossible, pour le moment, d’établir avec certitude ce qui a provoqué l’accident, certaines pistes semblent plus sérieuses que d’autres.
Quelle est la cause officielle du crash ?
L’avion, un Boeing 737-800 de la compagnie Ukraine International Airlines, a décollé de l’aéroport international de Téhéran à 6h12 heure locale (soit 3h42 à Paris). À peine deux minutes plus tard, alors qu’il devait rejoindre Kiev et volait à une altitude d’environ 8 000 pieds (2400 mètres) au-dessus de la commune de Parand, à l’ouest de la capitale iranienne, il cesse d’envoyer ses données de vol, comme l’indique le site spécialisé FlightRadar.
Quelques minutes plus tard, l’appareil s’écrase dans un champ près d’Khalaj Abad, après avoir réalisé une boucle vers le nord-est. L’Organisation de l’aviation civile iranienne (CAO) indique ce jeudi matin qu’ il aurait rencontré un « problème », sans plus de précisions. « L’avion, qui se dirigeait initialement vers l’ouest pour sortir de la zone [aérienne] de l’aéroport, a tourné à droite à la suite du problème et était sur le chemin du retour à l’aéroport au moment du crash », explique la CAO, ajoutant que « selon des témoins oculaires […] un incendie a été observé dans l’avion et a gagné en intensité. »
L’ambassade d’Ukraine en Iran a invoqué, dans un premier temps, « une panne du moteur due à des raisons techniques ». Elle a ensuite changé de version, expliquant n’exclure aucune piste, y compris celle d’un possible acte terroriste.
Qu’est-ce qui peut provoquer un incendie ?
Plusieurs vidéos montrent une lueur très forte au niveau de l’avion, juste avant qu’il s’écrase au sol. Un responsable gouvernemental iranien, Qassem Biniaz, a déclaré à l’agence de presse officielle qu’un moteur de l’avion avait pris feu. Ses soupçons sont notamment nourris par les problèmes techniques qu’a connus Boeing ces dernières années avec ses appareils 737 MAX, dont deux exemplaires se sont écrasés en l’espace de cinq mois.
Cette piste laisse sceptique Xavier Tytelman, expert français en sécurité aérienne. « Un incendie comme ça, c’est ultra-rare. La seule option possible est effectivement le moteur, or il y a des extincteurs depuis le cockpit et c’est ultra-maîtrisé. Un tel moteur ne brûle pas comme ça, jusqu’à mettre l’avion en péril », souligne-t-il.
Comme le souligne aux Etats-Unis le New York Times, si « les incendies de moteur sont assez courants sur les jets commerciaux, ils entraînent rarement des accidents ». « Les avions de ligne commerciaux sont conçus pour pouvoir voler même en cas de panne d’un moteur », ajoute le quotidien américain. D’autant que l’appareil avait subi une opération programmée de maintenance lundi, soit deux jours seulement avant le crash, selon la compagnie Ukraine International Airlines. Et l’équipage était expérimenté.
Quel crédit apporter à la piste du missile ?
Si la cause du « problème » n’est pas technique, l’avion pourrait -il avoir été victime d’un tir de missile ? Un tel scénario est vraisemblable, à la lumière du crash du vol MH17 de la Malaysia Airlines ( détruit en vol par un tir de missile au-dessus de l’Ukraine le 17 juillet 2014) mais aussi des tensions actuelles dans la région. Quelques heures auparavant, plusieurs roquettes ont été tirées par l’Iran vers des bases américaines en Irak.
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Sur Twitter, un certain Ashkan Monfared a publié mercredi après-midi une photo montrant ce qui ressemble à un débris de missile, et qui aurait été prise dans le lieu du crash. L’objet figurant sur la photo ressemble à l’extrémité du modèle utilisé par le véhicule soviétique de tirs de missiles TOR-M1 (un SA-15 dans la codification de l’Otan).
Cet internaute, qui se présente comme « spécialiste en sécurité informatique » et vit en Californie, indique au Parisien que le cliché lui aurait été envoyé par « un voisin qui habite à Parand ». Ce dernier aurait « pris la photo [mercredi] matin après avoir appris qu’un avion s’était écrasé dans cette zone ». « Il a marché et est tombé par hasard » sur cet objet, assure Ashkan Monfared, tout en reconnaissance qu’il s’agit de quelque chose qu’il « ne peut pas prouver ».
Une simple recherche inversée de cette photo via Google montre qu’elle est bien apparue pour la première fois en ligne ce mercredi. En revanche, ses métadonnées et son angle de prise de vue rendent extrêmement compliqué une géolocalisation, comme l’a souligné sur Twitter le collectif de journalistes d’investigations BellingCat.
The problem with this photo of the remains of an AA missile is it’s been taken at an angle where it’ll be next to impossible to geolocate, so unless another image appears which can be geolocated it won’t be possible to verify it’s in Iran.https://t.co/02rMEnhOYv — Bellingcat (@bellingcat) January 8, 2020
Impossible donc, pour le moment, d’établir à 100% une corrélation entre cet objet et l’avion qui s’est écrasé.
Que penser des traces visibles sur la carcasse ?
Des photos des débris de l’appareil font apparaître ce qui ressemble à des trous ou à des impacts, pouvant accréditer l’hypothèse de tirs. « Il y a des trous partout ! Partout ! » s’étonne un internaute sur Twitter.
Cependant, pour relativiser cette thèse, plusieurs contributeurs de BellingCat ont repéré des photos de l’appareil détruit prises sous d’autres angles, leur permettant d’affirmer que la majorité de ces taches sont en fait « des roches ou des débris » retombés sur l’avion, et non des trous dans la carlingue.
Hey all, be careful about analysis of holes in various parts of the plane. For example: these images show the same piece, where at least some of the “holes” actually appear to be small rocks or other debris in higher resolution images. pic.twitter.com/FKhLLMZXf5 — Nick Waters (@N_Waters89) January 8, 2020
Quoi qu’il en soit, les autorités iraniennes ont démenti que des opérations militaires soient à l’origine du crash.
Pourquoi le pilote n’a-t-il pas passé d’appel d’urgence ?
Autre point qui peut sembler intrigant : le pilote n’aurait pas passé d’appel d’urgence, selon le chef de l’Organisation de l’aviation civile iranienne, Ali Abedzadeh. Un point qui est qualifié d’ « inhabituel » par plusieurs médias anglo-saxons, tels que le Daily Beast.
Selon Xavier Tytelman, l’absence d’appels dans ce genre de cas est pourtant « assez classique en cas d’urgence ». « Les pilotes ont trois priorités, dans l’ordre : voler, naviguer et communiquer. S’ils se battent avec la machine, ils ont d’autres urgences que communiquer », estime-t-il.
Comment va se dérouler l’enquête ?
Pour éclaircir le mystère de ce crash et apporter des réponses fermes à ces questions, les regards se portent sur l’enquête en cours. Les deux boîtes noires ont déjà été retrouvées, quelques heures après le crash.
Toutefois, les investigations s’annoncent compliquées, notamment en raison des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Les règles internationales prévoient que l’enquête incombe au pays de la zone de l’accident, en l’occurrence l’Iran. Mais celui où a été construit l’appareil et celui dont dépend la compagnie, en l’occurrence les Etats-Unis et l’Ukraine, peuvent aussi « désigner un représentant accrédité qui participera à l’enquête », selon la convention de l’Organisation de l’aviation civile internationale.
« Pour participer à l’enquête, les Etats-Unis doivent être invités par les Iraniens », a estimé auprès de l’AFP un responsable américain. Ce qui semble loin d’être acquis. Le chef de l’Organisation iranienne de l’aviation civile a déjà refusé de mettre les boîtes noires à la disposition « du fabricant [Boeing, NDLR] et des Américains ». « Il faut absolument que les Iraniens acceptent une enquête internationale, que des autorités étrangères, par exemple les Russes, puissent venir sur place », conclut Xavier Tytelman.
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