Autant la mort du général Soleimani a soudé, la semaine dernière, la population iranienne derrière ses dirigeants, autant l’incident tragique du crash d’un Boeing ukrainien semble produire le mouvement inverse. Samedi 11 janvier, faisant volte-face, la République islamique a reconnu qu’une unité anti-aérienne des Gardiens de la Révolution avait abattu, mercredi, par erreur, un avion civil de la compagnie Ukrainian Airlines, qui venait de décoller de Téhéran, avec 176 personnes à son bord (dont, vraisemblablement, une majorité d’Iraniens et des dizaines d’Irano-Canadiens et des Ukrainiens), toutes décédées.
Dans la soirée de samedi, un rassemblement a été organisé à Téhéran devant l’Université Amir Kabir à la mémoire des victimes du crash. Selon des journalistes de l’AFP venus couvrir la veillée, celle-ci s’est transformé en manifestation de colère. La foule a lancé des slogans dénonçant «les menteurs» et réclamant des poursuites contre les responsables du drame et ceux qui, selon les manifestants, ont tenté de le couvrir. «Le régime nous dit que notre ennemi est les Etats-Unis. Mais, en réalité, notre ennemi est juste en face de nous [le régime lui-même]», a-t-on pu entendre sur certaines vidéos.
La police iranienne a fini par disperser la foule qui scandait des slogans «destructeurs» et «radicaux» lorsque celle-ci a quitté l’université pour sortir dans la rue, selon Fars, une agence iranienne proche des ultraconservateurs. «Excusez-vous et démissionnez», peut-on lire à la «une» du quotidien Etemad, selon lequel le peuple demande l’éviction des responsables de la catastrophe d’Ukraine International Airlines.
«Le monde regarde», a averti le président américain Donald Trump, déclarant qu’il ne pourrait «pas y avoir un autre massacre de manifestants pacifiques, ni une coupure d’Internet». Référence aux grandes manifestations de novembre en Iran, contre le régime en place, qui auraient fait plus de 300 morts, selon l’ONG Amnesty International. Sur Twitter, Donald Trump a annoncé, en anglais et en farsi, au peuple iranien qu’il se tenait «à ses côtés» : «Nous suivons de près vos manifestations, et votre courage nous inspire».
L’ambassadeur du Royaume-Uni en Iran, Rob Macaire, a également été brièvement arrêté en marge de ce rassemblement, a annoncé le ministre des Affaires étrangères Dominic Raab, qui a dénoncé «une violation flagrante de la législation internationale». Selon le Daily Mail, l’ambassadeur a été interpellé pour avoir prétendument «incité» les manifestants à Téhéran qui exprimaient leur colère. Il a été relâché environ une heure après, selon la même source.
Rob Macaire a nié ce dimanche avoir pris part à la moindre manifestation contre les autorités, comme l’ont rapporté certains médias iraniens. «Je peux confirmer que je n’ai pris part à aucune manifestation», a écrit l’ambassadeur sur son compte Twitter. «Je suis allé à un événement annoncé comme une veillée pour les victimes de la tragédie (du vol) #PS752» d’Ukraine International Airlines, s’est-il justifié. Il est «normal de vouloir rendre un hommage», a-t-il ajouté, d’autant que «certaines victimes étaient britanniques». «J’ai quitté les lieux après cinq minutes quand certains ont commencé à lancer des slogans» contre les autorités, assure-t-il dans des messages en anglais et en persan.
Le ministre Dominic Raab a estimé que l’Iran devait choisir entre «sa marche vers un statut de paria» ou «prendre des mesures pour la désescalade et pour s’engager sur le chemin diplomatique». Les Etats-Unis ont appelé l’Iran à s’excuser pour cette arrestation. De son côté, le chef de la diplomatie européenne, l’Espagnol Josep Borrell, a fait part de son inquiétude et a appelé à la «désescalade» dans un tweet ce dimanche. «Très inquiet après la détention temporaire de l’ambassadeur britannique en Iran. Le respect de la convention de Vienne est une obligation. L’Union européenne appelle à la désescalade et à l’ouverture d’un espace pour la diplomatie», a twitté le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Dimanche à la mi-journée, les autorités iraniennes n’avaient fait aucune déclaration sur l’incident.
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