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CGT vs CFDT: 100 ans de tensions syndicales – Le Figaro

«Ça suffit! Ce climat est insupportable». Invité de l’émission «Audition publique-LCP-Le Figaro», Laurent Berger, le patron de la CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail), n’a pas caché son agacement après deux intrusions au siège, à Paris. La dernière en date: lundi, une «quinzaine de personnes encagoulées » ont coupé l’électricité pendant «quelques minutes », d’après la confédération. L’action a été revendiquée par des syndicats CGT Énergie Île-de-France. Philippe Martinez a toutefois condamné ces actes. La veille, le secrétaire général de la CGT (Confédération Générale du Travail) rappelait également que son organisation n’avait pas «à porter le chapeau de tout ce qui se passe dans le pays». «Il y en a marre du “CGT-bashing”», avait-il affirmé, interrogé par Le Parisien .

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Les divergences entre les deux syndicats sur la réforme des retraites – Laurent Berger a accepté le compromis proposé par le gouvernement- ont fortement détérioré les relations entre les deux organismes. Des tensions qui ne sont pas nouvelles entre une CFDT classée du côté des réformistes et une CGT qui privilégie l’affrontement. «Ils partagent deux identités syndicales, deux histoires différentes. Leur relation évolue en dents de scie», analyse Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’université de Bourgogne et auteur de La démocratie sociale en tension. Car cette animosité est aussi vieille que les deux syndicats eux-mêmes.

Quand la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens), ancêtre de la CFDT, est créée en 1919, la CGT – qui existe depuis 1895 – refuse de reconnaître cette nouvelle organisation syndicale. «La CGT a été seule pendant longtemps, même s’il existait plusieurs organisations en son sein, détaille Dominique Andolfatto. Après la Seconde Guerre mondiale, la CGT est toutefois contrainte de l’accepter. La CFTC a beaucoup résisté lors de la guerre et elle veut désormais avoir du poids. Par ailleurs, les dirigeants ne veulent plus avoir affaire seulement à la CGT qui s’associe au Parti communiste».

Relation «fluctuante»

Dès le départ, «les relations entre les deux syndicats sont extrêmement mauvaises, ajoute l’historien Stéphane Sirot, spécialiste de l’histoire et de la sociologie des grèves et du syndicalisme. La CFDT, c’est l’héritage du syndicalisme chrétien, elle veut aménager le système, pas le renverser, quand la CGT porte un projet de transformation sociale qui peut aller jusqu’à la destruction du capitalisme.» Depuis, leur relation «est fluctuante», complète l’historien. Liées par un pacte d’unité d’action en 1966, les deux organisations syndicales se fâchent de nouveau à la fin des années 70 quand la CFDT opère un recentrage sur ses positions réformistes. «À l’époque d’Edmond Maire, la CFDT se recentre sur un syndicalisme de partenariat social se basant sur le compromis et estimant que la grève n’est plus forcément le meilleur moyen pour arriver à ses fins, précise Sébastien Sirot. La CGT, elle, va rester sur ses bases et les relations vont donc se tendre». La brouille, ponctuée de quelques moments d’accalmie, culmine en 1995 quand la CFDT soutient le plan Juppé.

Les deux formations entrent ensuite dans une nouvelle phase de détente, favorisée par le patron de la CGT Bernard Thibault. «On entre dans le “syndicalisme de rassemblement” avec comme idée qu’il existe un pluralisme syndical mais qu’il faut faire en sorte qu’il y ait une certaine convergence, détaille Stéphane Sirot. Le mot d’ordre: c’est le rassemblement». CGT et CFDT conduisent donc une action commune en 2006 contre le contrat première embauche, avant de signer en 2008 une position commune sur les règles de la représentativité syndicale. Deux ans plus tard, en 2010, les syndicats font de nouveau front ensemble contre la réforme des retraites voulue par Nicolas Sarkozy.

«Irréconciliables»

Cette fois-ci, le front commun n’aura pas tenu longtemps. Favorable à la retraite par points voulue par le gouvernement, la CFDT se retrouve donc opposée à l’Intersyndicale, CGT en tête. Après avoir brièvement rejoint le mouvement social en décembre, elle le quitte de nouveau après avoir trouvé un compromis avec le gouvernement. «Aujourd’hui, l’écart est grand entre les deux, ils ne portent plus le même syndicalisme, estime Stéphane Sirot. La direction de la CFDT est vue comme une traîtresse et c’est ce que reflète le climat actuel, les intrusions. Normalement ça ne se fait pas ce genre de choses entre syndicats, même si on n’est pas d’accord on n’en arrive pas là».

«Il y a déjà eu des moments de violences similaires, nuance Bernard Vivier, directeur de l’Institut Supérieur du Travail. Mais là on sent que Philippe Martinez est tiraillé entre le fait que ces actes ne se font pas entre syndicats, et la pression qu’il subit de sa base puisqu’elle mène des actions toute seule. Normalement, chaque syndicat joue sa partition au mieux: la CGT gère le terrain et la CFDT est plus dans la discussion. Cette fois, des limites ont été dépassées et elles auront des conséquences». Insultes, menaces, messages de haine… Laurent Berger comme Philippe Martinez dénoncent les intimidations dont ils disent faire l’objet. «Cela va être compliqué de revenir à une relation normale, prévoit Stéphane Sirot. Les organisations syndicales parviennent à se rapprocher quand elles ont des positions communes. Mais, aujourd’hui il n’existe pratiquement plus de causes communes, donc l’unité va être difficile».

Lors des différentes unions entre les deux syndicales, notamment celle de 1966, une stratégie prédominait, d’après Dominique Andolfatto: «ils considéraient qu’ils avaient intérêt à jouer ensemble et à combattre les mêmes interlocuteurs, même s’ils n’envisageaient pas le futur de la même manière. C’était un choix tactique». Un aspect qui semble désormais perdu selon lui. «Les deux syndicats paraissent aujourd’hui irréconciliables et ils restent enfermés dans l’intransigeance. C’est d’ailleurs ce qui explique l’échec du mouvement actuel. Le gouvernement n’a qu’à jouer sur les divisions syndicales et attendre».

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