“Au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer: jusqu’ici, tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.” On ne pourrait résumer mieux le bac Blanquer, et en particulier la première session de ces nouvelles épreuves (les E3C) qui doivent, en théorie, débuter le lundi 20 janvier.
Depuis des mois, le Ministère fait la sourde oreille face aux nombreuses critiques qui se multiplient, prétextant que “tout est prêt” et que seuls les “ventilateurs à angoisse” qui alertent sur les difficultés à venir sont responsables des angoisses des uns et des autres, notamment des élèves.
Mais à mesure que la date du début des épreuves approche, tout montre que l’atterrissage risque d’être brutal, pour les élèves et les professeurs, qui sont déjà les victimes collatérales d’une obsession politique.
Le bac simplifié d’une redoutable complexité
Les premières critiques face à ce nouveau bac ne datent pas d’il y a quelques semaines. En 2018, les contours de l’architecture du bac Blanquer sont dévoilés. Rapidement, il se confirme qu’il n’a rien du bac simplifié qu’on nous vend à grand coup de brochures léchées ou d’éléments de langage bien rodés.
Contrôle continu, épreuves communes de contrôle continu (E3C), épreuves finales, la fusée à 3 étapes de ce nouveau bac est d’une redoutable complexité. En étalant les épreuves sur deux ans, le bac 2021 qui a, en réalité, commencé dès septembre 2019 pour la première cohorte d’élèves concernés, transforme complètement le sens même de la scolarité des élèves et de l’évaluation.
Le ministre a beau jeu de pointer le bachotage du bac tel qu’il existe encore pour la session 2020. Si effectivement, bon nombre d’élèves gardent sans doute un souvenir ému de leurs révisions intensives entre Roland-Garros et la Coupe du Monde, c’est désormais sur deux ans, l’année de 1re et de terminale, que les élèves sont soumis à une évaluation permanente puisque chaque note compte.
Élèves et enseignants plus stressés
Dès le début de l’année de 1re, les élèves ont été jetés dans le grand bain du bac et ce, pour 2 ans. Les épreuves s’enchaînent (contrôles, E3C) et mettent les élèves sous pression. Dans de nombreux lycées, les professeurs ont fait un constat implacable depuis le début de l’année: des élèves plus stressés et inquiets en raison de ce nouveau mode d’évaluation, d’autant plus qu’il laisse peu de temps pour les apprentissages. Le temps est précieux en matière pédagogique. Il est ici sacrifié sur l’autel de la précipitation et de l’empilement d’épreuves. Qui peut encore prétendre que cette réforme a été faite pour les élèves?
Les professeurs sont eux aussi engagés dans une course permanente à l’évaluation pour répondre aux impératifs du bac Blanquer au détriment du temps consacré aux apprentissages et à la remédiation des difficultés des élèves: comment s’arrêter sur les obstacles que rencontrent les élèves, prendre le temps de les analyser avec eux pour qu’ils les surmontent? Le temps est désormais compté, un œil rivé sur le calendrier, l’autre sur des programmes très, trop lourds, issus de la réforme du lycée imposée par le ministre.
Les problèmes techniques se sont multipliés comme le retard dans l’ouverture de la BNS (Banque Nationale de Sujets) mettant les enseignants en grande difficulté. Nous avons commencé l’année sans information précise sur ces épreuves: à la rentrée, aux élèves de terminale, nous avons pu expliquer les modalités des épreuves, nous projeter sur un travail de méthode et d’apprentissage sur plusieurs semaines, avec les élèves de première rien de tout cela n’a été possible.
Contestation enseignante
Mais au-delà des problèmes techniques et pédagogiques, ce nouveau bac et la contestation grandissante disent aussi beaucoup de choses à la fois de la nature des réformes Blanquer, mais aussi du rapport au métier des enseignants. Le nouveau bac est une des étages de la réforme systémique qui a touché le lycée depuis deux ans: ajouté à la réforme du lycée (suppression des filières, etc.), le bac Blanquer devient le symbole d’une politique éducative inégalitaire où le renvoi au local affaiblit chaque jour un peu plus la dimension nationale du service public d’éducation.
Mais les réformes Blanquer attaquent aussi le cœur du métier enseignant: le nouveau baccalauréat consacre l’évaluation systématique et standardisée, reléguant au second plan le travail de réflexion et de mise en œuvre des apprentissages pourtant destiné à faire progresser et réussir nos élèves. La course à l’évaluation du bac Blanquer dénature le métier enseignant. La contestation de ce nouveau bac d’une partie croissante de la profession s’explique également ainsi: cette réforme remet en cause brutalement des principes auxquels nous sommes attachés (le caractère national du service public, l’égalité devant l’examen), mais elle heurte aussi de plein fouet la professionnalité des enseignants soumis à de nombreuses injonctions et dilemmes qui les empêchent de faire leur travail.
À quelques jours du début des épreuves, le constat est implacable: tout n’est pas prêt et la nature même du bac Blanquer pose de nombreux problèmes. Le SNES-FSU alerte depuis plusieurs mois sur l’impréparation de cette première session d’E3C et demande son annulation. Le ministre n’a pas daigné répondre.
Et si l’important n’est pas la chute, mais l’atterrissage, il portera alors une lourde responsabilité dans l’accident industriel et pédagogique qui se profile.
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