François Devaux, 40 ans, se souvient particulièrement d’une levée des couleurs avec son groupe scout Saint-Luc à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) il y a trois décennies. « Il y avait une 2 CV sur le parking qui dérangeait Preynat. Dans une démonstration de force, il a alors sifflé les chefs de la troupe qui, à dix, ont illico déplacé la voiture vingt-mètres plus loin. Il prenait tout l’espace quand il parlait et tout le monde se taisait. Nous, avec nos rangers, on avait l’impression d’appartenir à un régiment de paras ! », se remémore ce rénovateur d’intérieur.
Cet aumônier « à l’aura très forte », doté d’un « esprit militaire et patriarcal », qui « voulait faire des petits garçons de vrais hommes », ce fut aussi son prédateur en col romain qui, au printemps 1990, a souillé son innocence. Trente ans après avoir été une proie de ses pulsions pédophiles, quatre ans après avoir été confronté à lui durant la garde à vue, l’ancien louveteau devrait retrouver l’ancien prêtre ce lundi matin au tribunal correctionnel de Lyon. Le conditionnel s’impose car ce procès médiatique, programmé de longue date, et prévu pour durer jusqu’à vendredi, pourrait être perturbé par la grève des robes noire s du barreau de Lyon opposées à la réforme des retraites et donc être reporté à mardi… ou plus tard.
Bernard Preynat, ici en 2012 ou 2013. ABACA/Andbz
Sur le banc des parties civiles, François Devaux fait partie des dix victimes « non prescrites », toutes masculines, de Bernard Preynat entre 1986 et 1990. Devenu le symbole d’un clergé déviant et de l’omerta des sommets de l’Église, déclencheur également de « l’affaire Barbarin », le prévenu de 74 ans est jugé pour « atteintes sexuelles sur des mineurs de moins de 15 ans » commises par une personne ayant autorité. Un délit aggravé passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans et d’une amende de 150 000 euros.
Celui qui n’est plus « père » depuis qu’il a été renvoyé de l’état clérical suite à son procès canonique mais qui est toujours hébergé par le diocèse – « jusqu’au procès inclus », indique-t-on à l’archevêché – affronte désormais la justice républicaine. « Il sera présent, il est en état de comparaître », assure son avocat Frédéric Doyez. Des victimes à qui l’abbé demandait de « garder le secret » il y a un demi-siècle, il y en aura également dans le public de la 17e chambre mais elles ne s’exprimeront pas à la barre étant, elles, visées par la prescription. Elles sont ainsi plusieurs dizaines à avoir été identifiées lors de l’instruction. L’association La Parole libérée, qui les fédère, a recensé de son côté quelque 80 témoignages. Les ex-scouts y rapportent des fellations, des attouchements, des baisers… sous la tente lors des camps d’été ou au labo photo de la paroisse. Ils relatent également l’haleine de cigarillo, le souffle chaud ou la bedaine de leur cauchemar vivant.
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Durant l’enquête, le septuagénaire qui privilégiait les proies fragiles donc faciles, celles par exemple dont les parents venaient de divorcer, a reconnu la plupart des faits. Mais ce titulaire d’un CAP de cuisinier ne s’est guère livré. « Ce procès va être très important car jusque-là, il a peu parlé de lui », prévient Maître Doyez.
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Et d’évoquer des agressions sexuelles dont son client aurait lui-même été la cible, « à plusieurs reprises » dans sa jeunesse, notamment quand il était enfant de chœur. Ces cinq jours d’audience devraient aussi faire la lumière sur la personnalité extrêmement complexe du curé défroqué. « Quand il ne s’était rien passé, il a laissé un excellent souvenir dans la mémoire de beaucoup de scouts », ose son conseil.
Autant idolâtré que détesté mais toujours redouté
Derrière le bourreau qui a fondé, en 1971 à sa sortie du séminaire, un groupe scout autonome dans la banlieue huppée de la capitale des Gaules, se profile un leader « charismatique », autant idolâtré que détesté mais toujours redouté. « J’ai vu l’homme organisateur avec plein de monde autour, qui pouvait mobiliser 450 personnes pour un week-end en pleine cambrousse », raconte un ancien scout qui n’a pas subi ses assauts.
« Il avait un double visage, c’est d’ailleurs pour cela que des paroissiens l’ont tellement soutenu alors que les rumeurs circulaient », explique Laurent Duverger, 51 ans. Il y a quatre décennies, son insouciance a été massacrée par l’abbé dans la salle où les costumes de théâtre étaient entreposés ou dans le car lors d’un voyage en Corse. « C’était le boss, on était sous la coupe de son autorité », dit-il. Le clerc pouvait aussi se présenter « avenant » quand il venait manger à la maison. « C’était loin d’être un ascète. Il avait un côté bon vivant, aimait la bonne chère et bien boire », détaille cette « victime prescrite », qui a prévu d’assister au procès.
Sur le plan religieux, il se rappelle d’un vicaire ayant une « analyse rigoureuse de la liturgie ». « Sans être tradi, il était très conservateur. Et sur ce point, il ne s’entendait pas très bien avec les autres curés », poursuit-il. L’ecclésiastique « narcissique » savait se montrer « cultivé », faisant plancher ses petits guerriers soucieux de monter en grade sur les Templiers ou les Cathares. « Il avait une très haute opinion de lui-même », résume-t-il. « Il était assez érudit, à la fois omniscient et omniprésent, très attaché à nos apprentissages quand on étudiait le Livre de la jungle ou les devoirs du scout », confirme Alexandre Hezez, 45 ans, la première victime à avoir déposé plainte en 2015. « Il était aussi très très autoritaire mais permettait de faire des choses extraordinaires, des voyages, des processions… », enchaîne-il.
Alexandre Hezez est la première victime de Bernard Preynat à avoir porté plainte. LP/Olivier Corsan
« C’était une espèce de gourou lunatique. Mais dès qu’il prenait la parole, il y avait des étoiles dans les yeux de ses interlocuteurs », souligne François Devaux. C’est lui qui, en 1990, a distillé à sa famille une confidence explosive. « Je crois que le père, il m’aime bien, il m’a embrassé sur la bouche », lâchait-il à ses parents qui alertaient les autorités du diocèse. Bernard Preynat finit par être exfiltré l’année suivante. « J’ai aimé très fort mes scouts, mais j’en ai aussi aimé trop », justifie-t-il dans son message d’adieu aux fidèles de Sainte-Foy-lès-Lyon.
L’aumônier à la carrure massive et aux larges lunettes est alors discrètement envoyé chez les Petites sœurs des pauvres. Une simple mise à l’écart de quelques mois en guise de pénitence avant d’être nommé par le cardinal de l’époque, Mgr Albert Decourtray, curé de Neulise (Loire). « Il a une grosse capacité d’adaptation, il arrive à recréer à chaque fois son univers et reconquérir la confiance des gens malgré les bruits qui courent », analyse François Devaux.
Il officiera encore dans deux autres paroisses jusqu’à sa chute et son éviction il y a près de cinq ans. Partout où il a célébré la messe, il a laissé une impression mitigée. « Quand il est parti, on l’a regretté énormément », témoignait, en 2016, une retraitée de Neulise alors que le scandale éclatait au grand jour. « Il était un peu hautain. Une fois, il m’avait demandé : Mais pourquoi vous n’êtes pas allée à la messe, vous faisiez autre chose ? », taclait sa voisine. « Il a peut-être été ensorcelé », avançait une troisième dame. « Un jour, une paroissienne qui l’a bien connu m’a dit : On le craignait comme on l’admirait », retranscrit Pierre-Emmanuel Germain-Thill, 40 ans, coach en développement personnel.
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Partie civile au procès, brisée par Preynat quand il avait 8 ans, Pierre-Emmanuel Germain-Thil, condamné à porter sa croix depuis une éternité, évoque un « pervers » à « l’air mauvais » qui « toisait les gens ». « Dès qu’il était dans la posture du chef scout, il prenait un regard très sombre, très dur, méchant », dépeint-il. Ce regard qui, depuis, a perdu de son tranchant, il est prêt à l’affronter, droit dans les yeux, durant une semaine.
Repères 1971. Ordination de Bernard Preynat, qui fonde le groupe scout Saint-Luc à la paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône).
1991. Sous la pression des parents d’une victime abusée, il est mis à l’écart, par sa hiérarchie, chez les Petites sœurs des Pauvres. Quelques mois plus tard, le prêtre est déplacé à Neulise (Loire).
1999. Muté à Cours-la-Ville (Rhône).
2011. Nommé curé du Coteau (Loire).
2015. Premières plaintes d’anciens scouts. Le cardinal Barbarin le relève de ses fonctions.
2016. Mis en examen pour agressions sexuelles sur mineurs.
2019. En mars, Mgr Barbarin est condamné, en première instance, à six mois de prison avec sursis pour ne pas l’avoir dénoncé à la justice.
Du 13 au 17 janvier 2020. Procès de Bernard Preynat au tribunal correctionnel de Lyon.
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