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“Arrêtons l’amateurisme ! ” : la colère d’un humanitaire 10 ans après le séi

FIASCO – Dix ans après le séisme qui a dévasté Haïti, l’île tarde à se reconstruire malgré des milliards de dollars de dons. Patrick Coulombel, fondateur d'”Architectes de l’Urgence” explique les raisons de ce fiasco et réclame une remise à plat des méthodes des ONG.


2020-01-12T17:46:01.879Z – Propos recueillis par Amandine Rebourg Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7 a ravagé la capitale d’Haïti et ses environs, faisant plus de 200.000 morts. Un million et demi d’Haïtiens se sont retrouvés sans abri. Un immense élan de solidarité s’était alors créé et des milliards de dollars avaient été récoltés par des ONG. Mais dix ans plus tard, la situation est toujours catastrophique sur place. Les bâtiments demeurent en ruines, stigmates de la difficile et trop lente reconstruction de l’île.

Très rapidement après le séisme du 12 janvier, la fondation française Architectes de l’Urgence a envoyé une équipe de six architectes et ingénieurs dont Patrick Coulombel, son fondateur. Cet architecte de formation explique à LCI pourquoi la reconstruction du pays est un “échec”. Sept milliards de dollars ont été dépensés pour reconstruire Haïti. Vous dites que c’est un échec. Sur quel plan et pourquoi ?

Patrick Coulombel, directeur général de la fondation Architectes de l’urgence : Pour comprendre, il faut remonter dix ans en arrière : une aide importante est arrivée du monde entier et en face, il y avait le coordonnateur des Nations Unies, Edmond Mulet. A l’époque, il avait annoncé qu’il fallait que des élections se tiennent avant d’entamer la reconstruction. La première erreur est là, car il n’y a pas de lien.

Pendant ce laps de temps, on a décidé de faire de l’aide d’urgence : les tentes se sont transformées en abri temporaire. Alors on peut se demander pourquoi ce choix ? Parce que ce sont des abris, des cabanes en bois importées de pays d’Amérique du nord, fabriquées dans ces pays puis mises en place en Haïti. Cela générait de l’économie dans le pays d’où elle venait. Des dizaines de milliers de “shelters” ont ainsi été acheminés et on a généré un déplacement important de population. Cette période a duré quatre ans. Le prix d’un abri amené coûte aussi cher qu’une construction définitive. Ils ont réglé un problème momentané sans se poser la question de l’après. Dans les zones sinistrées, qu’est ce qui a posé problème ?

Il n’y a pas eu de reconstruction en dur car on a fait le choix d’une phase de relèvement rapide qui a coûté une fortune. Or ce qui fonctionne, c’est de réduire l’ensemble de ces trois phases en deux périodes seulement : installer les tentes et dès que les gens sont capables physiquement et psychologiquement de le faire, attaquer la reconstruction définitive en développant les filières de matériaux locaux, en faisant travailler les artisans ainsi que la main d’oeuvre locale pour que les sinistrés puissent bénéficier de la reconstruction.

C’est ce que nous avons fait, en Haïti avec Architectes de l’urgence, mais de façon trop limitée, faute d’argent. On sait, par expérience, que lorsque les gens vivent dans un espace endommagé trop longtemps, ils se déplacent. On s’est rendu compte qu’en aidant des gens à rentrer chez eux, en leur apportant des preuves techniques sur le fait qu’il était possible d’y rester, malgré les dégradations, cela fonctionne assez bien. Dans votre ouvrage, vous être très critique sur l’utilisation des fonds collectés par certaines ONG…

Les ONG collectent des dons et les redistribuent ensuite. Mais lorsqu’on fait un appel aux dons pour une cause comme la reconstruction d’Haïti, il faut apporter la preuve que l’argent a été correctement utilisé. L’argent est allé aux grosses infrastructures qui n’ont aucune expérience dans la construction en dur. Cet argent n’a pas été mis au bon endroit, cela a été un fiasco.

Le problème du modèle habituel des donateurs comme les Nations-Unies ou l’Union Européenne pose des questions, en termes de durabilité– Patrick Coulombel, architecte et fondateur d’Architectes de l’urgencePour vous les moyens d’urgence mis en place après les catastrophes sont obsolètes ?

Le modèle mis en place date d’une trentaine d’années. Dans une catastrophe, il y a trois phases d’aide : l’urgence absolue, durant laquelle, on soigne, on donne à manger et on abrite les gens. Ensuite, il y a la post-urgence en faisant du “early recovery”, le relèvement rapide. En termes de construction, on met en place les “shelters”, comme nous l’avons vu à Grande-Synthe, près de Calais et comme on en voit dans tous les camps de réfugiés. Ce sont des abris temporaires, standardisés de 18m2. Enfin, on fait du développement et on reconstruit en dur. Le problème du modèle habituel des donateurs comme les Nations-Unies ou l’Union Européenne pose des questions, en termes de durabilité. Les “shelters” se transforment en bidonvilles et la réponse technique devient pire que la catastrophe elle-même. Il y a un modèle à réinventer : il faut que dans ces institutions, il y ait une agence spécialisée dans la reconstruction d’urgence.

Pourquoi ce modèle ne fonctionne plus ?

Il ne fonctionne pas car la construction, tout comme le médical, est un métier. C’est un métier technique qui nécessite des compétences de haut-niveau, or dans le modèle actuel, tout le monde croit pouvoir le faire. On n’imagine pas une personne qui n’a jamais fait de médical, partir dans ces zones et faire des consultations médicales. Là, on est confronté à un problème car la majorité des gens qui veulent aider, c’est de l’opportunisme ou des gens qui n’ont pas de travail, donc pas forcément les meilleurs. On n’est pas mauvais en France mais il faut avoir de vrais partenariats avec des gens du bâtiment, plutôt que des doux rêveurs. Chacun doit faire son métier. Ce qu’on fait dans l’humanitaire aujourd’hui, c’est ce qu’on faisait au Moyen-Âge. Patrick Coulombel, “Arrêtons l’amateurisme au service de l’urgence : de Haïti à Notre-Dame, la reconstruction en question”. NBE éditions.



Propos recueillis par Amandine Rebourg

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