Si vous avez allumé votre télévision la semaine dernière, vous avez certainement entendu des personnalités politiques ou militantes, vous expliquer pourquoi le Black Friday était une mauvaise chose, mais surtout, que le géant Amazon était le Mal incarné. Principal reproche adressé à la firme de Jeff Bezos : la destruction du commerce de proximité. Je me suis donc interrogée sur mes propres habitudes de consommation sur Amazon : mes achats sont-ils problématiques ? Pourrais-je les faire dans un magasin physique avec le même confort ?
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Analyse de mes achats
En dehors des achats essentiels, mes principales dépenses sont culturelles : livres et DVD et ma chronique hebdomadaire me donne une très bonne excuse pour me rendre très régulièrement à la FNAC de Saint-Lazare, qui est la plus proche de chez moi. Quant aux livres, ce sont principalement des livres électroniques. Ayant reçu un Kindle en cadeau il y a longtemps et ayant des problèmes de place dans mon appartement, je privilégie les livres électroniques.
Mes autres achats sont du matériel pour ma cigarette électronique, que j’ai parfois du mal à trouver en magasin et du maquillage, que je ne trouve pas en France. J’ai posé la question autour de moi pour savoir quel type d’achats mon entourage faisait sur Amazon : principalement des livres, difficilement trouvables, voire introuvables en magasin, de l’électronique, car moins cher pour la même qualité.
J’ai entrepris de chercher quels étaient les objets les plus vendus sur Amazon et c’est la plateforme elle-même qui donne l’information. On retrouve des jouets, de l’électronique, des jeux vidéo, des DVD, des CD et des logiciels. En dehors du baromètre Amazon, il ne paraît pas y avoir d’étude exhaustive sur les ventes d’Amazon. Si on se fie à ce relevé, on constate qu’il s’agit de biens matériels et immatériels qui sont principalement vendus dans des grandes surfaces ou des magasins de chaînes.
Quels commerces de proximité ?
L’argument principal des opposants à Amazon, qui ont été interrogés au moment du Black Friday consistait à dire qu’il détruisait des emplois et des commerces de proximité. Selon Saint-Wikipedia, « le commerce de proximité désigne les commerces pratiquant la vente au détail dans lesquels le consommateur se rend fréquemment, voire quotidiennement ; il inclut également des commerces implantés dans certaines rues ou quartiers commerçants des villes. On parle par exemple de commerce de proximité concernant les boulangeries, épiceries, drogueries ou cordonneries ». L’INSEE définit le commerce de proximité comme des « activités économiques répondant à des actes de consommation de la vie courante. Cela regroupe l’équipement de la maison (équipement du foyer, livres, jouets, meubles, fleuristes, etc.), de la personne (habillement, chaussure, optique, pharmacie), l’automobile, le commerce de détail alimentaire (boulangeries, supérettes, supermarchés, charcuteries, etc.), la restauration et débits de boissons, les services corporels (coiffure, beauté), les agences bancaires et immobilières et les autres services (auto-écoles, blanchisseries, cordonniers, agences de voyage, services funéraires, photographes, etc.) ».
Dans le cas du livre, du DVD et des CD, ce qui a détruit le commerce de proximité n’est pas Amazon, mais la FNAC. À la fin des années 70, il y avait 3000 disquaires en France. Fin 2010, ils étaient à peine 200. C’est du côté du livre neuf que les choses sont encore plus amusantes. En 1994, 33.2% des ventes de livres se faisaient en librairies. En 2007, le chiffre baisse à 24.4% et en 2017, le chiffre est de 22%. En 1994, les grandes surfaces spécialisées et non spécialisées prenaient, respectivement, 11.3% et 13.7%. En 2007, c’est 21.2% et 21.4%. En 2017, 25.5% et 19%. Ces chiffres sont issus du ministère de la Culture. Qu’en est-il d’Internet ? En 1994, il n’y a pas de données. En 2007, cela représente 7.9% et en 2017, 21%. Quand on reprend les chiffres, on constate que les ventes par Internet ont grignoté, non pas les librairies, mais les ventes par correspondance et les clubs. En 1994, cela représentait 22%, cela descend à 16.3% en 2007 et tombe à 9.5% en 2017.
Ce n’est donc pas Amazon qui a détruit le commerce de proximité qu’est la librairie, mais bien les grandes surfaces spécialisées type FNAC et non spécialisées type Leclerc.
Qu’en est-il des autres commerces de proximité ? Il faut se plonger dans les études du CREDOC et de l’INSEE, mais en résumé, c’est la façon dont les villes ont été pensées. Les centres-villes sont devenus inhabitables du fait des prix, les gens se sont installés en périphérie, donc on y a installé des centres commerciaux et les loyers de ses derniers font que les commerces indépendants ne peuvent pas y survivre. Le cas d’école le plus flagrant est celui du Millénaire à Aubervilliers, qui est un véritable gâchis. Rien n’a changé depuis cet article de 2013, si ce n’est le nombre délirant de commerces qui ont quitté le centre. L’étude la plus récente de l’INSEE, sur la Corse explique qu’au contraire, en 2015, le commerce de proximité se redéploie en centre-ville. Quant au CREDOC, son étude la plus récente concernant le commerce de proximité concerne l’alimentaire et indique « Les résultats de cette enquête ont été confrontés à ceux obtenus en 2012 et 2005. Si l’hypermarché reste le circuit le plus fréquenté, il est en perte de vitesse (-6 points sur la fréquentation hebdomadaire entre 2012 et 2017). Cela profite aux supermarchés, mais aussi aux supérettes et commerces de proximité ».
L’étude souligne également l’expansion du drive et de la livraison à domicile, mais dans ces modes de consommation, point d’Amazon : on parle de Leclerc, d’Auchan et de Cora. Enfin, sur la question de l’emploi, l’INSEE note que les commerces de proximité ont évolué et ont progressé, mais sans embaucher plus « Enfin, l’évolution de l’emploi salarié ne suit pas toujours celle des établissements. En particulier, les salons de coiffure/beauté se sont multipliés sans que le nombre de salariés augmente. Les agences immobilières ou bancaires, bien que plus nombreuses, emploient moins en 2015 qu’en 2009. Au contraire dans le commerce de détail alimentaire, l’emploi se maintient malgré la fermeture de points de vente ».
Une absence de lien
Le Black Friday n’est pas dans la culture française, car il s’agit d’une habitude de consommation des Américains. La série The Middle en fait des épisodes très drôles. Pour autant, rares sont les consommateurs qui iront se plaindre d’une promotion, surtout quand elle intervient un mois avant Noël, après avoir payé sa taxe d’habitation, ses impôts, sa taxe foncière ou prochainement, sa cotisation foncière des entreprises.
Est-ce que faire ses courses sur Amazon détruit de l’emploi dans des commerces de proximité ? Encore faudrait-il que lesdits commerces existent. Dans Paris et certaines villes de banlieue, ils existent, mais ce n’est pas le cas partout et certains commerces ne peuvent pas être absorbés par Amazon. Évidemment, on peut tout à fait critiquer Amazon, notamment sur son ingéniosité fiscale. Mais reprocher à Amazon de détruire de l’emploi et du commerce, alors que ce sont les politiques d’aménagement du territoire et du logement qui ont le plus œuvré en ce sens depuis 50 ans paraît assez hasardeux.
À ce jour, il n’existe aucune étude sérieuse, sourcée, avec des données fiables qui permettent de dire qu’Amazon détruit des emplois et à hauteur de combien. L’économie, c’est comme l’informatique : il faut toujours partir du concret et de l’existant.
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